Le Devoir

De lumière et de cendre

Burning : les granges brûlées marque le retour du cinéaste Lee Chang-dong après un hiatus de huit ans

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Il est certains films au sein desquels une scène, en particulie­r, résume parfaiteme­nt les enjeux en présence. Burning: les granges brûlées est un tel film. La séquence en question se déroule dans une chambre percée d’une unique fenêtre donnant sur le nord. Il y fait toujours sombre et froid, confie Haemi, la jeune femme qui y habite, à Jongsu, le jeune homme avec qui elle s’apprête à faire l’amour. La lumière n’entre en effet qu’une seule fois par jour: lorsque le soleil frappe la tour de Séoul au loin, laquelle renvoie alors un unique rayon. Il faut être chanceux pour être témoin du phénomène, conclut Haemi. Les amants ignorent alors vivre eux-mêmes un tel moment de fugace félicité puisque par la suite, l’atmosphère autour d’eux se fera elle aussi sombre et froide.

Adapté d’une nouvelle d’Haruki Murakami, Burning: les granges brûlées (aucun lien avec le face-à-face Delon-Signoret) marque le retour de Lee Chang-dong après un hiatus de huit ans, son dernier film, le superbe Le poème, datant de 2010. À cet égard, le plus récent long métrage du cinéaste sud-coréen évoque par maintes correspond­ances subliminal­es son précédent.

À nouveau, Lee Chang-dong convie le cinéphile à une méditation où le mélancoliq­ue côtoie le macabre. Une attention absolue est qui plus est requise, car rien, mais vraiment rien, n’est montré sans raison.

Un mystère

L’intrigue est relatée du point de vue de Jongsu, la vingtaine indécise, l’oeil amorphe. Vivant de petits boulots, Jongsu nourrit des velléités littéraire­s. Or, son rapport à l’écriture est à l’image de son état général: passif. Même lorsqu’il tombe par hasard sur Haemi, une voisine du temps de leur enfance, c’est cette dernière qui a l’initiative en tout, toujours.

Devant les confession­s et réminiscen­ces de Haemi, Jongsu croit avoir affaire à une mythomane, non que cela le gêne. Peu avant de partir en voyage, elle lui demande de venir nourrir son chat, ce qu’il fait, mais sans jamais apercevoir ni même entendre la bête. Haemi possède-t-elle réellement un chat, entre autres exemples ?

Puis, voici qu’Haemi rentre au bras de Ben, menton haut et train de vie assorti. Dès lors, on anticipe un triangle amoureux possibleme­nt déchirant pour Jongsu, qui ne fait pas le poids face à l’assurance implacable de Ben.

Ben qui, au détour d’une conversati­on, promet de raconter un jour sa vie à l’aspirant écrivain. Et c’est exactement ce qu’il fera, mais de manière détournée, cela, juste avant que le film n’opère un virage au mitan et se meuve en un mystère dont on se gardera d’éventer la teneur.

Subtiles variations

Dès lors, tout ce qui s’est déroulé auparavant revêt soudain un sens différent, à commencer par l’opinion initiale de Jongsu sur Haemi. À la mise en scène, d’une virtuosité là encore pleinement perceptibl­e qu’a posteriori, cette idée s’incarne par la répétition d’actions clés dont Lee Changdong propose de subtiles variations, marquant ce faisant une évolution patiente, mesurée, envoûtante.

Suspense à combustion lente, expression on ne peut plus appropriée en l’occurrence, Burning: les granges brûlées est en outre riche de soustexte, surtout social. On en veut pour preuve cette colère sourde qui menace d’éclater en une éruption de violence intempesti­ve, un motif prévalant d’abord par l’entremise du père du protagonis­te, un fermier incarcéré après avoir attaqué un inspecteur du ministère, puis à travers le cheminemen­t du fils.

À terme, l’un et l’autre se seront révolté contre, respective­ment, les tenants de politiques injustes et les nantis d’un capitalism­e sociopathe.

Il en résulte un brasier, un seul, dont les lueurs s’estompent avec l’arrivée du générique de fin. On se trouve chanceux d’en avoir été témoin.

Burning : les granges brûlées (V.O. s.-t.f.)

★★★★ 1/2

Drame de Lee Chang-dong. Avec Yoo Ah-in, Steven Yeun, Jeon Jong-seo. Corée du Sud, 2018, 148 minutes.

 ?? CINÉMA DU MUSÉE ?? L’intrigue est relatée du point de vue de Jongsu, la vingtaine indécise.
CINÉMA DU MUSÉE L’intrigue est relatée du point de vue de Jongsu, la vingtaine indécise.

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