Le Devoir

Les défis du présent de Jérôme Minière

Le musicien lance son douzième disque, Dans la forêt numérique, un premier effort autoprodui­t

- PHILIPPE PAPINEAU

C’est une drôle d’époque pour les musiciens de la trempe de Jérôme Minière. Si le polyvalent créateur de 46 ans a conquis un bon public au fil de sa douzaine d’albums de chansons aux racines électro, il reste dans une espèce d’entre-deux, de classe moyenne de la musique pour qui les métamorpho­ses de l’industrie sont complexes à épouser sans laisser derrière quelques acquis.

Pour Minière, ces deux dernières années, qui ont mené à la parution de son plus récent rejeton, Dans la forêt numérique, ont donc été remplies de réflexions stimulante­s et de décisions difficiles. À commencer par une rupture en bons termes avec son étiquette de disques La Tribu.

«À la blague, je dis que, comme je suis dans la quarantain­e, soit je quittais ma blonde, soit j’achetais un char rouge — et j’en ai pas les moyens —, soit je quittais mon label », raconte en rigolant le natif d’Orléans, en France.

D’une certaine manière, Jérôme Minière voulait cesser de regarder en arrière, pour se mettre en danger, pour épouser l’époque aussi. «Qu’estce que je peux faire d’intéressan­t, à ma mesure, dans le présent? C’était un peu ça, la question. »

Si Dans la forêt numérique arrive presque quatre ans après son dernier album Une île, c’est que Minière, anxieux de nature, s’est retrouvé, après sa rupture profession­nelle, devant un précipice — ou une montagne, selon le point de vue.

«Ça m’a un peu brassé, confie-t-il. Veut, veut pas, c’est comme être en couple, c’était 16 ans de ma vie ou presque. J’ai parlé à plein de gens, je me suis renseigné, et [pendant ce temps] je n’écrivais pas de chansons parce que je me demandais ce que je faisais làdedans, comment, avec qui. Et les réponses ont mis du temps à sortir.»

C’est en partie le lien qu’il a développé avec ses fans qui le tiraillait. « J’étais un peu entre l’ancien et le nouveau modèle, et j’ai quand même une histoire, un public. Et je me demandais si j’avais le droit, moi, de prendre le maquis et de sortir un disque tout numérique, en autoproduc­tion. Et moi, je ne suis pas un gars de business, alors, est-ce que ça se peut, aussi?»

Douter, puis créer

Les choses ont fini par débouler pour Minière, qui a été éclairé et motivé entre autres par Frannie Holder de Random Recipe et la relationni­ste de presse Sonia Cesaratto. Une bourse d’écriture du CALQ a beaucoup aidé, tout comme son associatio­n avec Ray-On, une nouvelle entreprise qui épaule les artistes avec des services musicaux divers, dont la distributi­on numérique, la synchronis­ation et de la consultati­on. «Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’alliés, résume le musicien. Sinon, c’était trop de solitude et trop de chapeaux, et j’ai une seule tête. »

Alors, une fois qu’il fut entouré, l’inspiratio­n a retrouvé son chemin pour le créateur, et les vannes se sont ouvertes. Pas moins d’une trentaine de titres sont nés en quelques mois, dont 11 se retrouvent sur Dans la forêt numérique — qui est télécharge­able en ligne, mais qui est aussi disponible en CD en quantité limitée, en commande directe sur les plateforme­s de l’artiste.

Une jungle

Encore une fois, le «ici et maintenant» a trouvé une grande place dans la démarche du père de deux enfants. «J’ai toujours aimé “photograph­ier” le présent, l’époque, explique Minière. Et je trouve qu’on est dans une époque assez difficile à cerner. Ce que je veux dire, c’est qu’on peut la cerner de manière très réduite, avec des angles minuscules. Mais une vision globale, c’est complexe, on est dans un monde saturé, c’est très difficile d’avoir même un discours cohérent. On est dans une jungle.»

Il y a sur ce nouveau disque la trame récurrente de la technologi­e, mais aussi des filons sur notre rapport aux autres, à la parole, à la vérité et à l’idée de la disparitio­n. Dans nos oreilles, Minière se permet quelques audaces (de l’orgue, une basse très forte) et adopte une approche sonore à cheval entre ses albums Petit cosmonaute et La nuit éclaire le jour qui suit.

«Esthétique­ment, je ne suis plus la nouveauté ni le patriarche, c’est un entre-deux, constate Jérôme Minière. Ce que je savais en écrivant ces chansons-là, c’est que je n’allais pas surprendre avec mon artisanat. Il fallait que je sois le plus proche de mes émotions, de ce que je peux dire, parce qu’au fond, je n’allais pas impression­ner le monde en mettant un sample ou en programman­t. »

Minière constate en fait que ses méthodes de travail jadis innovatric­es sont devenues presque la norme, et qu’il y a même «de gros hits qui sont produits comme je le faisais il y a dix ou quinze ans».

Alors, pourquoi lui n’a-t-il pas réussi à faire un hit ? se questionne-til du même souffle en riant. «Mais j’ai toujours été champ gauche, et il faut que je continue mon chemin, tout simplement. Il y a eu une acceptatio­n un peu. Et un petit deuil en même temps. » Mais qui sait ce que lui réserve le futur?

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Pour Minière, ces deux dernières années, ont été remplies de réflexions stimulante­s et de décisions difficiles.
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Dans la forêt numérique Jérôme Minière, Indépendan­t

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