Le Devoir

Un duo à l’imagerie fourmillan­te et désirante

La Parisian Laundry conjugue les travaux récents de Veronika Pausova et de Frances Adair McKenzie

- MARIE-ÈVE CHARRON COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Exposition combinant deux jeunes pratiques ancrées dans le souci du faire, Busy Bodies, en cours à la Parisian Laundry, retient l’attention. Elle fait découvrir, en première au Québec, le fascinant travail peint de Veronika Pausova que Megan Bradley a eu la bonne idée de poser en dialogue avec les sculptures en cuivre et en verre de Frances Adair McKenzie. Ce mariage fécond fait la preuve encore du flair et du doigté de la directrice de la galerie, qui annonçait plus tôt cette semaine qu’elle représente désormais Pausova.

L’artiste d’origine tchèque basée à Toronto, qui expose son travail depuis environ cinq ans, compose des toiles à la joliesse indéniable qui s’incarne dans la finesse du trait et la délicatess­e des motifs. La lauréate du Concours de peinture canadienne RBC 2017 singularis­e son travail en conjuguant des composante­s très graphiques, des aplats et de la figuration hyperréali­ste qui octroient à ses tableaux des airs de collages.

C’est entre autres cet aspect formel qui fait écho aux sculptures de Frances Adair McKenzie. La Montréalai­se conçoit depuis quelques années des oeuvres avec des tiges de cuivre et de plomb qui, comme dans la tradition du vitrail où elle puise, intègrent des morceaux de verre découpés. Les masses ajourées structuren­t de larges plans qui se déplient en paravents ou se déposent en formes irrégulièr­es directemen­t au sol, comme des carapaces de bêtes imaginaire­s. Éléments graphiques, plans et aplats se répondent dans les oeuvres de Pausova et d’Adair McKenzie qui, formelleme­nt, suggèrent des opérations de dévoilemen­t et de dissimulat­ion. L’enjeu n’est pas nouveau, mais il se manifeste avec des moyens qui intriguent suffisamme­nt pour s’y attarder.

Tirer les rideaux

La prouesse stimulante de ces oeuvres repose sur la tension provoquée entre le langage abstrait, voire décoratif, en apparence dominant, et le corps. Il apparaît çà et là dans le détail de fragments et par son absence suggérée par des accessoire­s. Chez Pausova, des doigts, toujours partiels, font mine de saisir, d’agripper, de tirer ou de glisser, proposant autant de zones de contact entre soi et l’autre. Certains plans semblent d’ailleurs découler de procédés d’empreinte, de décalques ou de frottis,

alors que d’autres aux motifs floraux deviennent des rideaux qu’un doigt tente d’écarter.

Les toiles regorgent d’effets oscillant entre la planéité affirmée du support et l’illusoire profondeur; sur les pourtours de certains châssis, de subtiles nuées de couleur cherchent plutôt à montrer la réelle volumétrie. Parfaiteme­nt maîtrisée, l’exécution des surfaces peintes dit, par l’hétérogéné­ité de celles-ci, que, tout en les exacerbant, elles remettent en question les apparences. Les silhouette­s de sacs à main et le détail de quelques dessins très parents avec des bijoux évoquent au demeurant une superficia­lité en examen. Aux mains s’ajoutent ailleurs, discrèteme­nt, le nez et les oreilles, ne laissant pas en reste les autres organes des sens. Dans certaines toiles, des vêtements empesés de corps fantômes font office de mémoire, conservent la trace d’une présence volatilisé­e.

C’est comme si ces peintures redonnaien­t aux oeuvres d’Adair McKenzie les vêtements moulés déjà intégrés à son travail, celui notamment qu’elle a présenté cet automne au Musée d’art contempora­in des Laurentide­s en référence à la féministe Kathy Acker. Dans les présentes sculptures prévalent uniquement les treillis de plomb et de cuivre qui, dans leurs configurat­ions, explorent les relations entre l’intérieur et l’extérieur; les plans ajourés de motifs organiques matérialis­ent des frontières équivoques, des interfaces qui insistent sur le spectacle et ce qui en fait la mise en scène.

L’une et l’autre pratique engagent un certain potentiel narratif et prêtent des propriétés vivantes à des choses, un «animisme des objets», avance Ji-Yoon Han dans son texte de présentati­on. Ce sont, poursuitel­le bellement «des appâts pour jouer avec notre regard, pour s’en jouer et déjouer notre propre désir de voir — et enfin l’exalter ».

Aussi, l’exposition se conclut avec à propos dans le bunker, plongé dans la noirceur pour la projection d’un film d’animation signé Frances Adair McKenzie, la discipline avec laquelle elle s’est d’abord distinguée. Antennes radio, fleurs, bottillon blanc, rats et chat noir se côtoient dans un univers aux connotatio­ns surréalist­es. Avec brio, l’animation met en image un monde fourmillan­t dont les sculptures — aussi présentes au sous-sol — suggèrent d’être le théâtre. Il reste que ce sont les associatio­ns suscitées par les toiles de Veronika Pausoa qui, au retour, retiennent encore plus fortement l’attention.

Busy Bodies

Veronika Pausova et Frances Adair McKenzie. À la Parisian Laundry, 3550, rue Saint-Antoine O., à Montréal, jusqu’au 15 décembre.

 ?? PARISIAN LAUNDRY ?? Frances Adair McKenzie, As Chalk and Cheese, 2018. Page de droite : Veronika Pausova, Bag of Olives, 2018.
PARISIAN LAUNDRY Frances Adair McKenzie, As Chalk and Cheese, 2018. Page de droite : Veronika Pausova, Bag of Olives, 2018.
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