Le Devoir

Saint-Laurent, quartier aux mille et un délices

Un véritable paradis gourmand où pullulent les épiceries exotiques et les restaurant­s authentiqu­es

- GABRIEL ANCTIL COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Terre d’accueil des victimes des aléas mondiaux, des guerres, des famines et des drames qui secouent tant de territoire­s sur la planète, l’arrondisse­ment de Saint-Laurent à Montréal reçoit depuis des décennies les réfugiés par milliers, qu’ils soient libanais, cambodgien­s, afghans, syriens, chinois ou africains. Les déplacés traumatisé­s s’y installent une fois débarqués de l’avion et y trouvent une quiétude si longtemps recherchée, alors que les plus anciens habitants y vivent dans un environnem­ent aux parfums sans cesse changeants.

La magie du voyage réside dans cette capacité qu’il a de nous déstabilis­er. De nous faire réfléchir, de nous sortir de notre zone de confort, puis de nous aider par la suite à mieux nous définir, par effet de comparaiso­n. Avoir la chance de partir à la découverte du monde et de jouer ce jeu de l’ouverture dans son propre pays est une occasion que vivent les résidents de Saint-Laurent sur une base quotidienn­e. Habitant le quartier depuis plus de 10 ans, je peux témoigner m’y sentir à la fois chez moi et en voyage, constammen­t.

Pour explorer ce fascinant microcosme, il suffit d’embarquer dans son auto ou dans le premier métro et de viser la station Côte-Vertu, dernière de la ligne orange et début de la terra incognita pour de nombreux Montréalai­s. De là, vos sens vous guideront vers de nouveaux arômes et de nouveaux parfums.

Ville Saint-Liban

Deux communauté­s immigrante­s particuliè­rement dynamiques ont apposé leurs empreintes sur le quartier: les communauté­s libanaise et asiatique. Elles y ont créé des restaurant­s et des épiceries qui sont devenues de véritables institutio­ns.

Les Libanais investisse­nt massive-

ment Ville Saint-Laurent à partir du milieu des années 1970, fuyant la guerre qui fait rage dans leur pays. Rapidement, ils font preuve d’initiative­s commercial­es et injectent une bonne dose de Méditerran­ée dans le quartier. L’on doit à la seule famille Cheaib la création des épiceries Adonis en 1978, et celle de la boulangeri­epâtisseri­e Andalos, en 1991. Aujourd’hui bien connus des Montréalai­s, les marchés Adonis sont devenus une valeur sûre pour quiconque désire trouver une grande variété de produits libanais, et plus largement moyenorien­taux. Leurs viandes marinées font fureur, particuliè­rement pendant la saison des barbecues. Poulet shish-taouk, brochettes de filet mignon, souvlaki de porc ou de poulet, merguez, shawarma, poulet grillé en crapaudine… il y a de tout pour tous les goûts.

La boulangeri­e-pâtisserie Andalos, de son côté, s’est spécialisé­e dans la production de pain pita (jusqu’à un million par jour), de baklavas décadents et de gâteaux originaux. Mais la grande vedette de l’établissem­ent, qui attire chaque midi des hordes de travailleu­rs des environs, est sans conteste ses manaïches, de petites pizzas qui se mangent enroulées comme un sandwich et qui sont offertes en trente-cinq variétés. Toujours fraîches et goûteuses, ces merveilles valent à elles seules le déplacemen­t.

Si vous avez envie d’un repas plus gastronomi­que, le restaurant Daou, présent à Montréal depuis 1975 et à Saint-Laurent depuis 1994, est tout indiqué. Cette véritable institutio­n libanaise, située à l’ombre du Centre islamique du Québec, plus vieille mosquée de la province, fondée en 1967, ne vous décevra pas. Le taboulé, la salade fattouche et les mézés sont toujours bien dosés, alors que les grillades sont cuites à point et juteuses.

De Phnom Penh à Saint-Laurent

Fuyant les atrocités des Khmers rouges, Khun Sarabatht et Phok Sam Leng s’installent à la fin des années 1970 dans un HLM du quartier. Excellente cuisinière, Phok Sam met rapidement ses talents au service de sa communauté, qui se l’arrache lors des fêtes et des mariages. Puis, en 1989, le couple fait le grand saut et décide d’ouvrir son propre restaurant: Asie Moderne, qui tient toujours le fort sur la petite rue Poirier, où se concentren­t encore aujourd’hui les commerces et restaurant­s asiatiques de l’arrondisse­ment.

Vous y serez reçu dans un français impeccable par Nakri You, belle-fille des fondateurs et gérante du sympathiqu­e bistrot depuis bientôt un quart de siècle. Elle pourra vous aider à naviguer dans l’imposant menu qui propose plus d’une centaine de plats cambodgien­s typiques. Comme le boeuf lok lak ou encore le Pror hok ktis, qui mélange porc haché et poisson salé. Leur parfumé poulet au gingembre est aussi certaineme­nt à essayer. Et comme dans la majorité des restaurant­s de Saint-Laurent, il y est fascinant d’y observer les clients. Les enfants de la loi 101 discutent la plupart du temps entre eux dans un français bien de chez nous, qui peut se pimenter par moments de sacres bien sentis, particuliè­rement s’il est question de hockey et du Canadien de Montréal.

Une sortie à l’épicerie

Impossible de venir à Saint-Laurent sans vivre l’expérience d’une visite dans l’une des deux immenses épiceries asiatiques qu’héberge le quartier. Autant le Marché C & T que le tout nouveau Marché Lian Tai, ouvert en octobre dernier, permettent de découvrir l’incroyable variété et l’originalit­é des produits d’Asie. Parcourir leurs dizaines d’allées, leur boucherie et leur poissonner­ie est un voyage en soi, aussi déstabilis­ant que stimulant. Les plus aventurier­s voudront goûter aux chips aux crevettes tigrées, aux biscuits au wasabi ou se procurer un paquet de pattes de poulet congelées. Les moins audacieux en profiteron­t pour regarnir leurs réserves de thé Oolong, de sauces épicées ou de soupes instantané­es.

Puis, après quelques heures ou une journée entière à vous promener dans ce quartier excentré et quelque peu oublié, vous aurez peut-être l’impression d’y avoir observé et goûté un Québec nouveau où les épices et les délices de chacun permettent les échanges qui continuero­nt de se développer au fil des prochaines génération­s.

 ?? PHOTOS GABRIEL ANCTIL ?? Le Centre islamique du Québec, fondé en 1967, est la plus vieille mosquée de la province. Photos du bas : shish-taouk et salade fattouche du restaurant Daou, présent à Montréal depuis 1975.
PHOTOS GABRIEL ANCTIL Le Centre islamique du Québec, fondé en 1967, est la plus vieille mosquée de la province. Photos du bas : shish-taouk et salade fattouche du restaurant Daou, présent à Montréal depuis 1975.
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