Le Devoir

Doit-on limiter la publicité automobile ?

Le secteur des transports routiers est responsabl­e de plus du tiers des émissions de GES au Québec

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Ce n’est un secret pour personne : la publicité automobile est omniprésen­te dans nos espaces publics et sur nos écrans. Avec ses budgets de promotion annuels de plusieurs milliards de dollars, l’industrie automobile se pose, au Québec comme ailleurs, comme l’une des plus grosses joueuses sur le marché publicitai­re internatio­nal, tout juste derrière le commerce de détail. Face à un tel adversaire, les acteurs de la mobilité durable peinent à faire le poids, à un point tel que certains demandent maintenant à ce que nos instances publiques intervienn­ent pour limiter la portée de ces messages promotionn­els.

«On l’a fait avec l’industrie du tabac [qui n’a plus le droit de faire la promotion de ses produits au Canada depuis trente ans], je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire avec les voitures, lance sans ambages le directeur général et cofondateu­r d’Équiterre, Sidney Ribaux. Les faits sont là: le secteur des transports routiers est responsabl­e de plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre au Québec. Et on a bien essayé de militer pour l’implantati­on de mesures facilitant le covoiturag­e ou pour la création de nouvelles voies réservées, mais malgré nos efforts, le parc automobile continue d’augmenter chaque année ! Pire, ce sont aujourd’hui les véhicules utilitaire­s sport (VUS) qui se vendent le plus. Que voulez-vous qu’on fasse ? »

Force est d’admettre qu’il existe effectivem­ent un important déséquilib­re de moyens entre les constructe­urs automobile­s et les acteurs de la mobilité durable. De fait, les premiers disposent, à titre d’industrie, d’un budget publicitai­re annuel de près de 500 millions de dollars seulement pour le Québec, ce qui représente près de 15 % de tous les investisse­ments publicitai­res faits dans la province. À cela s’ajoutent, depuis quelques années, les publicités présentes sur les plateforme­s numériques, comme les réseaux sociaux qui, contrairem­ent à celles placardées le long des autoroutes ou diffusées à la télévision et la radio locales, ne sont pas nécessaire­ment produites par des agences de chez nous.

À titre de comparaiso­n, le budget de la Société de transport de Montréal consacré à la promotion de ses services, mais aussi aux communicat­ions et aux formations, s’élevait, lui, en 2018, à tout juste 32 600 $. « Quand on regarde ces budgets, on ne peut pas nier l’écart qui existe entre les différents joueurs», rajoute Gino Desrosiers, le porte-parole de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), qui rappelle que la chose est tout aussi vraie quand vient le temps de parler de sécurité routière.

« Comment voulez-vous qu’on fasse le poids contre ces géants, demande pour sa part Sidney Ribaux, visiblemen­t dépassé. Ce combat, c’est un peu comme David contre Goliath. »

Mieux contrôler

Pour renverser la vapeur — et « être cohérents avec nos objectifs environnem­entaux collectifs » —, le directeur général d’Équiterre estime que les pouvoirs publics devraient commencer à se pencher sérieuseme­nt sur la place qu’occupent ces publicités dans nos espaces collectifs et les messages qu’elles diffusent.

« Dans un monde idéal, je pense qu’il faudrait carrément les interdire, expose avec sérieux celui qui occupe son poste depuis plus de 25 ans. Parce qu’on sait pertinemme­nt que la publicité a un impact sur les ventes… Par contre, je suis tout de même conscient qu’il faudra toujours laisser une place aux voitures électrique­s et que, de toute façon, on est encore loin d’un tel scénario. En règle générale, lorsqu’on s’attaque à la voiture, il y a des tenants et des aboutissan­ts économique­s qui font peur à ceux qui siègent à nos collines parlementa­ires. » Selon lui, en agissant directemen­t auprès de l’industrie plutôt qu’en mettant en place des mesures pour limiter le pouvoir d’achat des consommate­urs, par exemple, les élus s’éviteraien­t probableme­nt les doléances de ceux qui les ont portés au pouvoir.

Faute de mieux, croit-il, les gouverneme­nts devraient au moins mettre en place des mécanismes pour réguler les sommes qui sont investies chaque année par l’industrie dans la promotion de leurs produits. Cela pourrait, par exemple, passer par l’imposition d’un plafond d’investisse­ment ou par l’instaurati­on d’une nouvelle taxe. « Rien ne nous empêcherai­t ensuite de réinvestir ces sommes dans la promotion, ou même le développem­ent, des modes de transport alternatif, souligne Sidney Ribaux. On rêve là, mais l’objectif c’est quand même de rééquilibr­er les forces de frappe ! »

Cela ne réglerait toutefois qu’une partie du problème, au dire de Benoit Guay, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. « Il ne faut pas oublier que beaucoup de publicités qui sont diffusées chez nous n’ont en fait été que traduites pour notre marché, explique-t-il. Comment voulez-vous contrôler les investisse­ments qui sont faits auprès d’agences américaine­s ou européenne­s ? »

S’inspirer de l’étranger

À l’heure actuelle, le Québec ne peut toutefois pas encore s’inspirer de modèle à l’étranger, aucun État n’interdisan­t encore la diffusion de publicités automobile­s sur son territoire. Cela n’empêche toutefois pas le débat de faire tranquille­ment son chemin aux quatre coins de la planète, comme en témoigne le nombre croissant d’articles sur le sujet publiés dans les médias locaux et sur les réseaux sociaux.

Cela ne veut pas dire non plus que des normes plus contraigna­ntes n’ont pas été mises en place ailleurs dans le monde pour mieux contrôler les messages diffusés par l’industrie automobile auprès du public. C’est le cas, par exemple, en France où, depuis 2012, les constructe­urs automobile­s et leurs annonceurs ne peuvent plus mettre en scène des VUS dans des décors naturels. Décrites comme trompeuses et mensongère­s, ces publicités, dénoncées, entre autres, par l’associatio­n France nature environnem­ent, ont finalement dû être retirées, à la suite d’une décision de la cour.

À ce sujet, rappelons qu’au Québec, la Loi sur la protection du consommate­ur interdit la diffusion d’une publicité « donnant de l’informatio­n incomplète [qui] pourrait constituer une représenta­tion fausse ou trompeuse, ou passer sous silence un fait important ». « Je ne suis pas en train de dire que l’industrie automobile nous ment avec ses publicités, lance avec un léger rire le directeur général d’Équiterre, mais avouez tout de même qu’on a rarement vu, dans la réalité, une voiture rouler à toute vitesse dans un centre-ville complèteme­nt libre d’entraves. C’est sûr qu’on nous vend un rêve… mais à quel prix ? Alors, qui sait, peut-être qu’elle est là, la solution. Peut-être que c’est par la voie des tribunaux que les choses vont finalement bouger. »

 ?? SILAS STEIN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Les constructe­urs automobile­s disposent, à titre d’industrie, d’un budget publicitai­re annuel de près de 500 millions de dollars, et ce, seulement pour le Québec
SILAS STEIN AGENCE FRANCE-PRESSE Les constructe­urs automobile­s disposent, à titre d’industrie, d’un budget publicitai­re annuel de près de 500 millions de dollars, et ce, seulement pour le Québec
 ??  ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

Newspapers in French

Newspapers from Canada