Le Devoir

Des drogues psychédéli­ques pour soigner des troubles de santé mentale

Montréal est l’une des nombreuses villes du monde où la thérapie psychédéli­que est sous la loupe de chercheurs

- ALEXIS RIOPEL

JEAN-SÉBASTIEN FALLU

GABRIELLA GOBBI

Un cachet, une séance, des effets qui perdurent. Grosso modo, telle est la promesse des psychiatre­s qui travaillen­t sur le développem­ent de traitement­s recourant à des drogues psychédéli­ques pour soigner des troubles de santé mentale. Plutôt que d’apaiser les symptômes de la maladie mentale, ces substances servent à « reconnecte­r » le cerveau. Si elles étaient légalisées dans un contexte médical — et c’est ce qui semble en train de se dessiner —, une petite révolution pourrait secouer la psychiatri­e.

Fin octobre, la Food and Drug Administra­tion (FDA) américaine octroyait le statut de « traitement révolution­naire » à la psilocybin­e (l’ingrédient actif des champignon­s magiques) pour soigner la dépression récalcitra­nte. En 2017, c’était la MDMA (lire ecstasy) qui bénéficiai­t du même classement conçu pour accélérer les procédures réglementa­ires, cette fois-ci afin de combattre les états de stress posttrauma­tique. Des études cliniques de phase 3, les dernières avant la mise en marché, sont actuelleme­nt en cours avec la MDMA dans plusieurs villes du monde, notamment à Montréal. Le LSD a quant à lui été l’objet d’un essai clinique il y a quelques années afin d’évaluer son potentiel pour atténuer des cas d’anxiété graves.

Bref, on assiste présenteme­nt à « une recrudesce­nce de la thérapie psychédéli­que » dans le monde de la recherche, observe Jean-Sébastien Fallu, professeur en psychoéduc­ation à l’Université de Montréal et spécialist­e en toxicomani­e. « En regardant les anecdotes, mais surtout les études, on voit des résultats étonnants, remarque-t-il. Ce qui m’impression­ne le plus, c’est l’ampleur de l’efficacité du traitement chez certains patients auparavant récalcitra­nts aux soins. »

S’en prendre aux causes

La MDMA, le LSD ou la psilocybin­e sont administré­s lors de séances de psychothér­apie de plusieurs heures, pendant lesquelles des thérapeute­s accompagne­nt le patient dans ses réflexions psychédéli­ques. En théorie, après seulement une, deux ou trois envolées supervisée­s, le patient est débarrassé de son affection. Ainsi, contrairem­ent à ce qui arrive avec les médicament­s convention­nels contre l’anxiété ou la dépression consommés quotidienn­ement, le patient ne connaît pas d’effets secondaire­s indésirabl­es. De plus, les drogues psychédéli­ques ne produisent pas de dépendance physiologi­que, et rarement de dépendance psychique.

« La MDMA et la psilocybin­e facilitent la psychothér­apie parce qu’elles permettent au patient d’être davantage connecté à ses émotions », résume Gabriella Gobbi, professeur­e au Départemen­t de psychiatri­e de l’Université McGill. La substance ne se substitue pas à la psychothér­apie, elle en multiplie les effets, explique-t-elle.

La MDMA dope l’empathie chez les patients. Elle provoque la libération d’ocytocine, une hormone impliquée dans le tissage de liens sociaux, et de sérotonine, un neurotrans­metteur qui régule les humeurs. En plus de cela, elle diminue l’activité cérébrale dans l’amygdale, une région du cerveau associée à la peur. La combinaiso­n d’effets permet au patient souffrant de stress post-traumatiqu­e de reconsidér­er son souvenir troublant sans être submergé par des émotions négatives. La psilocybin­e, elle, bloque un récepteur de sérotonine, ce qui a comme conséquenc­e effective d’augmenter la concentrat­ion du neurotrans­metteur dans le cerveau. Il s’ensuit une perturbati­on des sens, de l’euphorie, et une diminution de l’activité dans l’amygdale — ce qui contribue à rétablir l’optimisme du patient dépressif. L’action du LSD, qui se lie aussi aux récepteurs de sérotonine, est similaire.

Tempête contrôlée

Tandis que les antidépres­seurs ou les anxiolytiq­ues interfèren­t avec certains neurotrans­metteurs au quotidien, le LSD, la psilocybin­e et la MDMA provoquent une tempête dans l’esprit qui, si elle est domptée, donne une perspectiv­e renouvelée. « La thérapie psychédéli­que semble régler la cause des problèmes plutôt que les symptômes », explique Jean-Sébastien Fallu.

«Avec les substances psychodysl­exiques [qui altèrent les perception­s], le cerveau devient plus réceptif, entre dans un mode créatif, s’ouvre à des expérience­s nouvelles. Elles peuvent créer des expérience­s positives, quand il y a normalemen­t de l’autodestru­ction », explique Philippe Vincent, professeur agrégé de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut universita­ire en santé mentale de Montréal. « Le patient peut ensuite se référer à ces nouvelles expérience­s positives, à ces nouveaux réflexes. Toutefois, ça peut déraper aussi, avertit le pharmacien. Le choix de la dose est très important. »

En effet, la prise de substances psychédéli­ques peut déclencher une psy- chose si la dose est inadéquate ou si la personne est naturellem­ent prédisposé­e à ces crises. « La semaine dernière, une de mes patientes est venue me voir après qu’elle s’être rendue aux États-Unis pour suivre une thérapie psychédéli­que où on lui a donné de la MDMA, raconte Gabriella Gobbi. Toutefois, elle n’avait pas averti le psychiatre là-bas qu’elle avait déjà souffert d’une psychose. Comme de fait, une nouvelle psychose s’est déclenchée à cause de la substance et la patiente a dû être hospitalis­ée. »

« Si une personne est prédisposé­e, les risques de déclencher une psychose sont très grands », note la spécialist­e. De plus, ajoute-t-elle, les personnes éprouvant déjà des problèmes de santé mentale sont plus souvent vulnérable­s aux psychoses que la moyenne des gens. Ces risques invitent à la plus grande prudence, pense Gabriella Gobbi.

La psychiatre croit que la thérapie psychédéli­que devrait être cantonnée à des diagnostic­s pour l’instant incurables. « Personnell­ement, je ne crois pas qu’on devrait encourager la thérapie psychédéli­que pour les maladies pour lesquelles on dispose déjà d’un traitement efficace, comme l’anxiété ou la dépression. Cependant, pour les états de stress post-traumatiqu­e ou l’alcoolisme sévère, envers lesquels rien ne fonctionne vraiment, ça peut être plus intéressan­t. »

« Dans les psychothér­apies, les gens veulent mieux comprendre leurs émotions, développer leur empathie, se soulager de leurs souffrance­s, avance la docteure et professeur­e à l’Université McGill. Or, certaines personnes ont une difficulté intrinsèqu­e à le faire. La MDMA et la psilocybin­e pourraient les aider à y arriver, mais il ne faudrait pas utiliser ces substances avec les patients qui n’en ont pas réellement besoin. »

Changer son mode de vie

Si la thérapie psychédéli­que a pour principe d’aider les gens à adopter un nouveau regard sur leur santé et leur mode de vie, est-il vraiment nécessaire de recourir à la drogue pour y arriver ? « Est-ce faisable sans la prise de substance ? C’est ce que les études essaient de nous dire, et c’est pourquoi elles incluent des sous-groupes auxquels on administre des placebos, répond JeanSébast­ien Fallu. Mais ce questionne­ment s’applique à toute la pharmacopé­e, de toute façon. »

En fait, le mécanisme d’action de la thérapie psychédéli­que est difficile à cerner. Est-ce le changement de mentalité qu’entraîne la thérapie qui permet au patient de se libérer de ses démons, ou bien la réorganisa­tion de ses connexions cérébrales ? « On n’a pas de réponse à cette question, et on n’en aura probableme­nt jamais vraiment, pense M. Fallu. Il est difficile de séparer la psyché et le cerveau. C’est sûrement une combinaiso­n des deux. »

« Quand des gens malades vont passer six mois dans la forêt amazonienn­e, qu’ils prennent de l’ayahuasca [une substance hallucinog­ène] et qu’ils font de la méditation, il est difficile de dire si c’est vraiment la substance active qui a réglé leurs problèmes de santé mentale », ajoute-t-il.

Ce qui m’impression­ne le plus, c’est l’ampleur de l’efficacité du traitement chez certains patients auparavant récalcitra­nts aux soins

Les personnes éprouvant déjà des problèmes de santé mentale sont plus souvent vulnérable­s aux psychoses que la moyenne des gens. Si une personne est prédisposé­e, les risques de déclencher une psychose sont très grands.

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La thérapie psychédéli­que a pour principe d’aider les gens à adopter un nouveau regard sur leur santé et leur mode de vie.

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