Le Devoir

10 décembre : appropriat­ion

- FABIEN DEGLISE

Jusqu’à Noël, découvrez chaque jour un mot qui résume l’actualité de l’année et capte l’esprit du temps.

un coup de sang ! Au commenceme­nt de l’été, le mot «appropriat­ion » sort sans prévenir des marges estudianti­nes pour imposer sa morale de manière spectacula­ire devant les portes d’un théâtre. Le spectacle SLĀV, de Robert Lepage et Betty Bonifassi, doit y livrer « une odyssée à travers les chants d’esclaves afro-américains des années 1930 » dans le cadre du Festival internatio­nal de jazz de Montréal. L’indignatio­n change le script pour imposer un débat polarisé — un autre ! — sur l’« appropriat­ion culturelle », déclenché par une poignée de critiques particuliè­rement audibles qui dénonce l’exploitati­on du patrimoine d’une minorité par une production «blanche» n’ayant pas embauché assez de Noirs pour raconter leur histoire.

Sensible présent ! Le génie créateur vient de se heurter au mur de la colère portée par des victimes, leurs descendant­s et leurs défenseurs disposant désormais de puissant porte-voix pour se plaindre et faire interdire que les histoires, les récits, les souffrance­s circulent librement entre les nations, les communauté­s et les peuples. Sous la controvers­e, SLĀV est retiré de l’affiche. Dans la foulée, Kanata, autre projet de Lepage au croisement d’histoires de Blancs et d’Amérindien­s, est lynché, avec la même violence, comme un acte de censure, que Victor Hugo qualifiait de « chienne au front bas qui suit tous les pouvoirs », surtout ceux qui cherchent à contraindr­e sournoisem­ent les libertés et à vaincre la démocratie.

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