Le Devoir

Le secteur des adultes, l’enfant pauvre du système québécois

- François-Xavier Charlebois Chargé de cours à l’École de travail social de l’UQAM et travailleu­r communauta­ire en éducation populaire

L’édition du 28 novembre du journal Le Devoir nous apprenait que la Commission scolaire de Montréal (CSDM) détourne les budgets de l’éducation des adultes vers les services aux élèves en difficulté des secteurs primaire et secondaire. La présidente de la CSDM justifie cette priorité en affirmant que ces secteurs ont un manque à gagner de 33 millions pour offrir des services adéquats aux élèves en situation de handicap, ayant des difficulté­s d’adaptation ou d’apprentiss­age et à ceux qui sont en classe d’accueil et de francisati­on. La CSDM fait le choix de combler le sous-financemen­t du secteur des jeunes au détriment des ressources du secteur des adultes où, pourtant, les besoins pour les jeunes sont majeurs. Ma recherche doctorale menée dans un Centre d’éducation des adultes auprès de personnes âgées de 18 à 25 ans le démontre sans équivoque.

Les défis auxquels font face les jeunes adultes des centres d’éducation des adultes (CEA) ne sont pas seulement de nature pédagogiqu­e. Les jeunes qui raccrochen­t à l’éducation des adultes proviennen­t massivemen­t de milieux défavorisé­s. Les données du ministère de l’Éducation indiquent que, pour la cohorte de 2015-2016, seulement 52,7 % des élèves en milieu défavorisé ont obtenu leur diplôme d’études secondaire­s (DES) en cinq ans. Les jeunes adultes en situation de pauvreté qui ont participé à ma recherche disent aussi avoir vécu plusieurs difficulté­s familiales durant leur enfance (problèmes de consommati­on des parents, de santé mentale, comporteme­nts violents). Ces épreuves sociales ont laissé des marques dans leur parcours de vie. L’intimidati­on ou les violences parentales vécues par le passé continuent de « leur jouer dans la tête », pour reprendre leur expression. À l’adolescenc­e, après le décrochage, plusieurs d’entre eux ont expériment­é des emplois aliénants qui les ont fait stagner dans leur développem­ent psychologi­que. Certains ont vécu d’intenses expérience­s de consommati­on de drogue ou mené des activités lucratives dangereuse­s.

Pour eux, le raccrochag­e scolaire est chargé de plusieurs espoirs. Les jeunes souhaitent se stabiliser à la suite d’une série de ruptures et de transition­s. Le raccrochag­e représente aussi l’occasion de se former pour obtenir un travail qui correspond­e à leurs désirs et qui leur permette de se sortir d’une situation de pauvreté. Pourtant, les taux de diplomatio­n à l’éducation des adultes ne sont pas réjouissan­ts. Une directrice d’un CEA de l’île de Montréal témoignait récemment sur les ondes de Radio-Canada qu’à peine 20 % des personnes de moins de 25 ans qui s’inscrivent à son centre obtiennent finalement leur DES. Parmi les causes de ces insuccès, il importe de souligner le manque de soutien offert aux élèves inscrits à l’éducation des adultes, une conséquenc­e du sous-financemen­t de ce secteur, mais aussi du régime pédagogiqu­e: l’enseigneme­nt individual­isé.

Jeunes isolés

En effet, ma recherche démontre que les besoins relationne­ls des jeunes à l’éducation des adultes sont importants. Or, ils sont isolés dans le régime pédagogiqu­e individual­isé. Considéran­t les besoins mis en lumière par la recherche, le constat est que trop peu de profession­nels s’emploient à accompagne­r les jeunes adultes dans leurs difficulté­s scolaires, mais aussi dans leurs difficulté­s personnell­es. N’est-il pas inconséque­nt de demander à ces élèves de réussir dans des conditions d’apprentiss­age moins favorables qu’au secteur des jeunes où ils ont échoué ? Dans les conditions actuelles, le secteur de l’éducation des adultes peine à atteindre ses objectifs de lutte à l’exclusion sociale. Les recommanda­tions de ma recherche visent à développer les services d’accompagne­ment individuel et de groupe dans les Centres d’éducation des adultes. En attendant une politique actualisée (la dernière date de 2002) et un réinvestis­sement à l’éducation des adultes, les milieux communauta­ires pallient les besoins en investissa­nt leurs savoirs et d’importante­s ressources éducatives dans les CEA.

Ces initiative­s entre les milieux de la recherche, de l’éducation formelle et communauta­ires sont importante­s. Par contre, elles ne suffiront pas à combler les besoins dans un contexte de sous-financemen­t. Les milieux éducatifs savent ce dont ils ont besoin pour atteindre d’ambitieux objectifs de réussite scolaire. Il en revient au nouveau ministre de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur de fournir aux acteurs de ce secteur les ressources dont ils ont besoin pour lutter contre l’exclusion sociale, relever le niveau de formation générale de la population et, plus spécifique­ment, de favoriser une transition positive des jeunes à la vie adulte.

Les jeunes adultes rencontrés dans ma recherche décrivent leur expérience dans les centres d’éducation des adultes comme une épreuve supplément­aire dans un parcours de vie déjà ponctué de nombreux obstacles. Plutôt que d’amputer des ressources qui leur sont pourtant destinées, il faut au contraire investir intensivem­ent l’accompagne­ment lors de cette étape cruciale d’une histoire de vie qu’est le retour en formation.

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