Le Devoir

Les blessures restent vives à Charlottes­ville

Un néonazi a été reconnu coupable du meutre de Heather Heyer

- ISSAM AHMED À CHARLOTTES­VILLE AGENCE FRANCE-PRESSE

Lorsque le néonazi américain James Fields a été reconnu coupable vendredi dernier du meurtre d’une manifestan­te antiracist­e qui protestait contre un rassemblem­ent nationalis­te à Charlottes­ville l’an dernier, Wednesday Bowie a pleuré de joie. Mais pour elle, le combat doit continuer.

« C’était du suprémacis­me blanc de la pire sorte », dit à l’AFP cette jeune femme qui a eu le bassin fracassé lorsque James Fields a foncé au volant de sa voiture sur un groupe de manifestan­ts qui protestaie­nt contre le rassemblem­ent d’extrême droite « Unite The Right », le 12 août 2017 dans cette petite ville de Virginie.

Le jury a déterminé que M. Fields, 21 ans, avait délibéréme­nt lancé sa Dodge Challenger dans la foule, tuant Heather Heyer, 32 ans, et blessant 35 autres personnes.

Même si elle se sent soulagée, Wednesday Bowie considère que ce jugement n’est qu’une avancée limitée dans le long combat contre l’intoléranc­e, qui n’a fait que croître sous le président Donald Trump.

Ses propos font écho à ceux de nombreux militants antifascis­tes de Charlottes­ville, pour qui l’attaque de James Fields n’est qu’un symptôme du racisme institutio­nnel profondéme­nt ancré dans l’histoire de cette petite ville universita­ire.

Le rassemblem­ent de Charlottes­ville avait été organisé par des nationalis­tes blancs pour protester contre le déboulonne­ment annoncé d’une statue du général sudiste Robert Lee.

La municipali­té avait approuvé le déboulonne­ment par un vote, mais le sort de la statue est aujourd’hui en suspens après plusieurs recours en justice, dont un venu d’une organisati­on défendant la mémoire des États confédérés qui souhaite qu’elle reste en place.

Passé esclavagis­te

Thomas Jefferson, le troisième président des États-Unis, est né tout près de Charlottes­ville. La ville de 46 000 habitants, qui abrite la prestigieu­se université de Virginie, est réputée pour son centre historique cossu, à l’architectu­re classique, et surtout pour la demeure historique de Jefferson, Monticello. Père fondateur des États-Unis, il est connu pour avoir eu des esclaves tout en luttant pour la tolérance et l’égalité des hommes.

Mais sous le vernis, le racisme n’est pas entièremen­t effacé, selon Andrea Douglas, directrice du Jefferson School African American Heritage Center.

La population noire de Charlottes­ville, qui a chuté à 19 % de la population, a été largement écartée de la croissance locale après des années de politiques d’exclusion en matière d’éducation, de logement et d’emploi, explique cette historienn­e.

Elle mentionne notamment la démolition dans les années 1960 du quartier noir de Vinegar Hill, en plein centrevill­e, qui a dépossédé toute une génération d’un patrimoine immobilier dont la valeur a explosé.

Pour Tanesha Hudson, 39 ans, la présence des statues confédérée­s dans sa ville est un rappel permanent de ce passé raciste et esclavagis­te.

« C’est manquer de respect à toute personne de couleur dont les ancêtres récoltaien­t le coton, ou étaient esclaves. Ou ont été pendus, tués ou violés », dit-elle.

Depuis août 2017, les militants antiracist­es de Charlottes­ville se sont mobilisés, comme Matthew Christense­n, un assistant social de 34 ans qui a lancé une pétition en ligne pour obtenir le déboulonne­ment d’une autre statue confédérée, devant un tribunal du centre-ville.

Les violences de l’an dernier « ont été un catalyseur pour beaucoup de gens », estime Molly Conger, une blogueuse de 29 ans qui a commencé à publier des informatio­ns sur la politique locale après l’incident.

La jeune femme a reçu des menaces pour des articles consacrés à un procès d’un autre suprémacis­te blanc.

Sur les marches du tribunal, l’accusé a donné l’adresse personnell­e de la blogueuse à ses partisans et un photomonta­ge la représenta­nt décapitée a été mis en ligne.

« Ça les perturbe quand les femmes s’expriment », dit Molly Conger, que les menaces ne dissuadent pas. Je me moque d’eux, et c’est ça qui leur fait le plus mal. »

Comme Wednesday Bowie, Jeanne Peterson a survécu à l’attaque de Fields, mais sa jambe a été écrasée dans le choc et elle a passé plus d’un an en fauteuil roulant

« James Fields n’est que la partie visible de l’iceberg », dit la jeune femme de 32 ans, pour qui le retrait des statues confédérée­s reste une priorité.

« Le combat ne sera pas terminé avant longtemps », ajoute-t-elle. Mais la condamnati­on du jeune néonazi « est certaineme­nt un pas dans la bonne direction ».

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BRENDAN SMIALOWSKI AGENCE FRANCE-PRESSE La statue du général confédéré Robert Edward Lee qui trône dans un parc de Charlottes­ville, dans l’État américain de Virginie, reste un enjeu politique délicat.

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