Décalage générationnel
Les Beaux dimanches de Marcel Dubé dans une langue plus souple, mais toujours aussi acerbe
Les Marcel Dubé se suivent et… se ressemblent. La parenté entre la pièce de 1965 montée à La Chapelle et le Bilan du TNM, présentés à quelques semaines d’intervalle, frappe. Ces deux tableaux désenchantés de la bourgeoisie s’achèvent par un constat de solitude chez un chef de famille nanti, à qui une femme confite d’ennui crie son insatisfaction, tandis que sa progéniture fait le procès de ses valeurs et de son autorité dépassés.
OEuvre touffue, Les beaux dimanches dresse le portrait vitriolique d’une faune désoeuvrée qui fait du surplace et s’étourdit, tandis que « la mort continue de faire son travail ». Christian Lapointe reprend à La Chapelle sa direction de onze ex-étudiants, la promotion 2018 de l’École nationale de théâtre, depuis constituée en troupe. Des interprètes aussi jeunes pour traduire la désillusion blasée, la lassitude terminale qui pèse sur l’âme de ces couples ? L’effet produit évoque un peu ces enfants enfilant les vêtements de leurs parents pour jouer à être adultes. La dimension grinçante de cette critique sociale en est exacerbée.
Force est d’admettre que pour monter les oeuvres de ce pionnier de la dramaturgie québécoise, il faut désormais bousculer un peu une forme qui trahit son âge. Christian Lapointe livre une lecture dépsychologisée, décalée de ce texte verbeux. Il a décorseté la langue — ce français normatif auquel Dubé tenait tant –, ici plus familière et directe.
Sur le plan scénique, il donne le traitement Oxygène à la pièce, avec micros, langage gestuel appuyé qui vient souligner ou trahir les pensées des personnages, notamment l’aveuglement — un thème important chez Dubé –, ainsi que l’arrière-plan sexuel chez ces couples qui flirtent pour exister. Le spectacle emprunte la forme d’un match d’improvisation, avec l’arbitre (Jules Ronfard) sur le côté, qui dénonce le sexisme ordinaire — ou les mensonges — des personnages masculins en actionnant une alarme de pénalité.
La première partie de ce long spectacle, où tout paraît au même niveau — outré —, finit un peu par lasser. Heureusement, cette production intelligemment découpée offre des variations formelles. La discussion autour de l’excursion en bateau — qui montre l’incapacité d’agir des personnages — jouit ainsi d’une mise en forme dynamique. Et l’étonnant épilogue voit les interprètes doubler en direct le film de 1974 à l’esthétique datée, appuyée, avec un effet souvent comique. Des scènes finales qui soulignent toutefois le désespoir de la jeune héroïne, aussi impuissante que ses aînés.
Si l’inexpérience transparaît chez certains, la distribution relève le défi d’une homogénéité de ton. Et en couple principal, Élisabeth Smith et Étienne Lou forment un duo cinglant. Patrice Ducharme-Castonguay porte sans heurts son morceau de bravoure sur l’indépendance du Québec.
À l’heure où l’on s’interroge sur l’avenir de ce rêve, la pièce signée par ce témoin de la société québécoise qu’était Marcel Dubé continue de refléter certains côtés sombres de notre époque : vide existentiel, obsession de se distraire, abandon d’un projet collectif.
Force est d’admettre que pour monter les oeuvres de ce pionnier de la dramaturgie québécoise, il faut désormais bousculer un peu une forme qui trahit son âge.
Les beaux dimanches
Texte: Marcel Dubé. Mise en scène: Christian Lapointe. Coproduction du collectif Quatorze18 et de Carte Blanche. Avec Félix-Antoine Cantin, Claudia Chillis-Rivard, Étienne Courville, Nadine Desjardins, Patrice DucharmeCastonguay, Étienne Lou, Virginie Morin-Laporte, Jules Ronfard, Gabriel-Antoine Roy, Rosemarie Sabor, Élisabeth Smith. Au théâtre La Chapelle, jusqu’au 15 décembre.