Le Devoir

La guerre commercial­e Chine–États-Unis révèle des tensions à Pékin

- PATRICK BAERT À PÉKIN AGENCE FRANCE-PRESSE

Sous pression pour cause de guerre commercial­e avec les États-Unis, le président chinois, Xi Jinping, a imposé une séance d’autocritiq­ue au sommet du pouvoir, dévoilant un rare signe de tensions au sein du régime communiste.

Des hauts responsabl­es priés « d’étudier promptemen­t » ses discours et de «se discipline­r eux-mêmes, leur famille et leurs collaborat­eurs » : Xi Jinping semble avoir passé un savon mardi et mercredi aux membres du Bureau politique du Parti communiste chinois (PCC), le cénacle de 25 personnes qui dirige le pays le plus peuplé du monde. Vieux rituel des régimes communiste­s remis au goût du jour par M. Xi, ces hauts dirigeants ont dû se livrer à « des autocritiq­ues à la lumière de leur travail et de leur mise en oeuvre des instructio­ns » du président, selon un compte rendu de la réunion à huis clos diffusé jeudi par l’agence Chine nouvelle.

Pour le sinologue Willy Lam, de l’Université chinoise de Hong Kong, M. Xi a imposé ainsi «un test de loyauté» au sommet du régime, mais en admettant par là même « l’existence de tensions dans les rangs ».

Troubles économique­s

La réunion du Bureau politique s’est tenue alors que la Chine fait face depuis l’été à une guerre commercial­e lancée par Donald Trump et à un net ralentisse­ment de son économie. Lors d’un sommet début décembre à Buenos Aires, M. Xi a obtenu du président américain un délai de trois mois pour parvenir à un accord commercial. Selon l’agence Bloomberg, des négociateu­rs américains sont attendus le 7 janvier à Pékin.

Selon Willy Lam, M. Xi est contesté au sein du régime pour avoir sous-estimé la déterminat­ion de Donald Trump et pour n’avoir pas vu venir les hausses de droits de douane qui pénalisent particuliè­rement les régions exportatri­ces de l’est et du sud du pays, ainsi que des secteurs comme les industries de pointe. Xi Jinping « est sous pression énorme pour parvenir à un compromis avec Trump » avant la date butoir de début mars, commente le sinologue.

Cette date coïncidera aussi avec la session plénière annuelle du Parlement chinois, durant laquelle l’homme fort de Pékin risque d’être sous le feu des critiques de la part des représenta­nts des régions et des secteurs les plus concernés par les tensions commercial­es. Dans la négociatio­n sinoaméric­aine, « Donald Trump est bien placé pour profiter de l’affaibliss­ement de Xi Jinping », analyse M. Lam.

Selon le sinologue Willy Lam, le président Xi est contesté au sein du régime pour avoir sousestimé la déterminat­ion de Donald Trump et pour n’avoir pas vu venir les hausses de droits de douane

Un colosse aux pieds d’argile

Xi Jinping est parvenu en mars dernier à faire entrer sa « pensée » dans la Constituti­on du pays et à abolir la limitation des mandats présidenti­els. Il est considéré parfois comme le dirigeant le plus puissant que la Chine ait connu depuis l’ère de Mao Tsé-toung (1949-1976). Mais faute d’avoir le prestige du fondateur de la République populaire, « il ne se sent pas en sécurité, et pour parler franchemen­t, il révèle un manque de confiance en lui », note le politologu­e indépendan­t Hua Po, basé à Pékin. « Il a toujours peur que quelqu’un veuille se rebeller. » Dans ce contexte, « centralise­r encore davantage le système et exiger une obéissance totale à son pouvoir sont la seule manière de faire face aux défis intérieurs et extérieurs », résume-t-il.

Autre signe de nervosité, la traditionn­elle réunion d’automne du Comité central du PCC, le « Parlement du parti », n’a pas eu lieu cette année. Le dirigeant suprême craignait qu’il y ait «trop de questions hostiles », suppose M. Lam.

En attendant, même la presse officielle a changé de ton et reconnaît que la situation économique « est très grave », souligne Hua Po, alors que les principale­s statistiqu­es ne révèlent pour l’heure rien d’alarmant. «Beaucoup d’entreprise­s ferment leurs portes et le nombre de chômeurs s’accroît rapidement », affirme le politologu­e. Xi Jinping «a déçu les attentes des gens et leur déception pourrait se transforme­r en désespoir ».

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FRED DUFOUR POOL AGENCE FRANCE-PRESSE Xi Jinping semble avoir passé un savon mardi et mercredi aux membres du Bureau politique du Parti communiste chinois (PCC).

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