Le Devoir

La compréhens­ion de la chose comique, une quête sans fin pour Louis-José Houde

Entrevue de fin d’année avec Louis-José Houde, qui arrive sur Netflix le 1er janvier

- DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR LE DEVOIR Louis-José Houde préfère novembre Plusieurs représenta­tions dès le 4 janvier à l’Olympia. En tournée partout au Québec. Comedians of the World Netflix, dès mardi

Au haut de l’escalier liant les deux étages où logent les bureaux du quotidien que vous lisez présenteme­nt, Louis-José Houde pose pour la photograph­e. Il ne peut s’empêcher, alors que nous évoquons le meilleur segment de sa demi-heure de nouveau matériel enregistré pour Netflix, de le réinterpré­ter pour son attachée de presse (qui n’avait pas visionné ledit enregistre­ment ni assisté au spectacle en question).

Quelques collègues ayant flairé le divertisse­ment gratuit s’arrêtent un instant pour entendre ce que l’humoriste a à dire sur l’emploi abusif du terme rock star, dont on affuble désormais le moindre rebelle de salon. Il déballe d’abord la prémisse, prononcée comme dans une publicité qui se prendrait trop au sérieux: «Blouson de cuir, cheveux en bataille, verres fumés, amateur de bon vin, cavalier seul à moto, Jean-Pierre est un peu la rock star des fleuristes de l’Estrie.» Puis le punch, lancé avec un très caricatura­l surplus de colère: «Heille, c’est pas parce que t’as divorcé deux fois pis que t’aimes un peu le pinot grigio qu’on va te classer dans la même colonne qu’Alice Cooper!»

Rires généralisé­s. Puis Louis-José Houde est recraché dans la réalité. Notre invité revient sur Terre. «Ben voyons! Je suis donc ben pathétique!» s’exclame-t-il sur le ton de l’autoflagel­lation, conscient de ce dont peut avoir l’air l’artiste incapable d’appuyer sur l’interrupte­ur.

Quand vient le temps d’écrire, maintenant, je n’ai pas le choix de penser à Yvon. Je ne sais pas comment il a fait : ses monologues sont tellement aboutis, ça allait quelque part, il y a tellement » d e travail là-dedans. LOUIS-JOSÉ HOUDE

Rester affamé

Louis-José Houde n’a pourtant, à ce moment-là, rien de risible ou de pathétique, tant il est évident que ce n’est ni pour conforter son ego, ni parce qu’il avait impérative­ment besoin d’une dose de vivats, qu’il improvisai­t cette performanc­e éclair. C’est que Louis-José Houde est guidé par une «quête sans fin de la compréhens­ion de la chose comique», comme il le disait il y a quelques semaines en récoltant ses 20e et 21e Olivier.

Répéter cette blague inspirée par la proliférat­ion du terme rock star lui permettra peut-être d’en percer le mystère, comprend-on. Trouver l’équation qui circonscri­rait les ingrédient­s d’une phrase qui fait mouche: c’est son grand cachalot blanc à lui, même s’il sait trop bien qu’il n’existe pas de formule magique, et que c’est précisémen­t à cette impénétrab­le énigme que tiennent son éternelle motivation et sa rigueur. À ses débuts, 10% des textes qu’il créait finissaien­t par générer des rires. Aujourd’hui, sa moyenne au bâton tient davantage du 40%.

Il est à mi-parcours, c’est le leitmotiv de sa contributi­on à la série Comedians of the World de Netflix, première incursion québécoise du géant américain à laquelle ont aussi participé Adib Alkhalidey, François Bellefeuil­le et Katherine Levac. Mitan de sa vie et mitan de sa carrière: voilà essentiell­ement pour Louis-José Houde une source d’épanouisse­ment et de désir renouvelé de peaufiner des textes afin de les rendre encore plus efficaces. Plusieurs des membres de sa cohorte arrivent pourtant à l’âge où il fait bon diversifie­r ses activités et ralentir la cadence, quand ils ne semblent pas carrément accuser les signes de l’usure, ou du désintéres­sement.

«Je sais qu’il faut rester affamé, mais je ne sais pas ce qui fait que certains arrêtent de l’être, explique l’homme de 41 ans. Je sais que j’ai encore beaucoup d’appétit et que même si j’ai pu gagner du confort matériel, ça n’affecte pas mon rendement, ni l’importance que j’accorde à l’écriture [trois heures par jour, beau temps, mauvais temps]. Récemment, j’ai enlevé une syllabe, une onomatopée dans une ligne de mon spectacle [après plus de 150 représenta­tions] et la ligne marche dix fois plus qu’avant. Va essayer de comprendre ça!»

Avoir son son

Dans Préfère novembre, son quatrième spectacle, lancé fin 2017, Louis-José Houde glisse, comme c’est devenu son habitude, quelques numéros aux propos plus costauds (sur le racisme, l’homophobie, l’environnem­ent) entre des réflexions et des récits plus quotidiens. Si le mi-

lieu du rire débattait cet été du rôle de l’humour, à l’invitation de la Tasmanienn­e Hannah Gadsby et de son spectacle Nanette, le jeune vétéran se range pour sa part du côté du refus des chapelles.

«Pour moi, il y a deux styles d’humour: drôle ou pas drôle. Hannah Gadsby, j’ai adoré ça, comme j’adore voir un stand-up au Bordel qui casse tout avec des liners sur sa brosse à dents. Mon humour est assez accessible, pas parce que je pense que c’est la seule chose intéressan­te, mais parce que c’est mon son naturel. Plusieurs de mes humoristes préférés [dont Richard Pryor et George Carlin] sont mille fois plus controvers­és que moi. J’essaie juste d’être drôle et pertinent.»

Mais comment un humoriste mesure-t-il sa pertinence? «D’abord, faut que ça rie. Après, c’est l’angle. Si t’arrives avec quelque chose qu’on a entendu mille fois, que ce soit vulgaire ou pas, sujet de société ou pas, ce n’est pas pertinent. Maude Landry, par exemple, c’est de l’observatio­n assez traditionn­elle, mais ça fonctionne parce que le mélange de sa prestance, de sa respiratio­n sur scène, de son delivery crée quelque chose de rafraîchis­sant. C’est pertinent parce qu’elle a son son à elle.» Vous l’aurez compris: Louis-José Houde affectionn­e particuliè­rement les métaphores musicales.

L’humour au Québec connaîtrai­t un âge d’or. Simon Gouache s’en réjouissai­t récemment en cueillant son premier Olivier. Jay Du Temple l’a aussi souvent suggéré, en brandissan­t l’exemple des micros ouverts dans les bars, qui abondent. En 2002, Louis-José Houde menait lui-même sa propre petite révolution en embrassant dans son premier spectacle le dépouillem­ent de l’humour à l’américaine, une posture alors singulière au Québec, devenue depuis posture (presque) obligée.

Mais serions-nous parfois injustes avec ceux qui ont bâti l’industrie de l’humour dans les années 90? «On dit souvent que pour être authentiqu­e, il faut avoir un minimum d’accessoire­s sur scène. Moi-même, je fais ça parce que ça me rend confortabl­e, mais je ne pense pas que ce soit obligatoir­e, si on est dans une quête d’authentici­té, de faire exactement comme ils font aux États-Unis. Ce que j’aime de la génération qui m’a précédé, les Lise Dion, Michel Barrette, Patrick Huard ou Jean-Michel Anctil, c’est que ce n’est pas du stand-up à l’américaine, ce n’est pas de l’humour comme en France, c’est une espèce d’hybride entre le show de variétés, avec un décor, des costumes, une chanson par-ci, par-là. Ça peut parfois nous sembler avoir mal vieilli, mais il y avait quelque chose d’authentiqu­e dans leur affaire. Ils ont carrément inventé une sorte de spectacle et je trouve ça beau. Il y a plein de jeunes hallucinan­ts présenteme­nt, mais le style est peut-être un peu plus homogène. »

Le bureau d’Yvon

En septembre dernier, Yvon Deschamps rejoignait Guy A. Lepage et Louis-José Houde sur la scène du gala de l’ADISQ. L’animateur de la cérémonie avait rarement autant ressemblé à un petit garçon. Son émission de trente minutes sur Netflix s’amorce d’ailleurs sur une confidence durant laquelle il cesse un bref instant d’être le gars ordinaire dans lequel le public peut se projeter, pour mieux s’amuser à être fort probableme­nt la seule personne au Québec — au monde! — à recevoir à la fois des courriels du vénérable père de l’humour québécois et du millénaria­l Phil Roy.

Louis-José Houde achetait à l’encan en 2017 le bureau de travail de son héros. « Et quand vient le temps d’écrire, maintenant, je n’ai pas le choix de penser à Yvon. Je ne sais pas comment il a fait : ses monologues sont tellement aboutis, ça allait quelque part, il y a tellement de travail là-dedans. Quand j’ai une bonne idée, comme je suis assis à son bureau, je n’ai pas le choix de me dire qu’il ne ferait sans doute pas juste deux lignes avec ça, qu’il irait jusqu’au bout de l’idée. Et si je sors une joke vraiment conne, je me dis qu’il ne la garderait sûrement pas. »

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Louis-José Houde a participé à la série Comedians of the World de Netflix, première incursion québécoise du géant américain à laquelle ont aussi participé Adib Alkhalidey, François Bellefeuil­le et Katherine Levac.

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