Le Spirou d’Émile Bravo, humaniste avant tout
Cathon allie polar et culture tiki, manière Jarmusch ou Anderson
Difficile de ne pas craquer pour le Trois-Rivières imaginaire de la bédéiste Cathon, plus précisément pour son quartier hawaïen habité par une faune locale aussi exubérante qu’attachante dans Les ananas de la colère. C’est dans cet univers résolument tiki que Marie-Pomme Plourde, barmaid et fan finie de romans policiers, verra sa passion rattrapée par la réalité crue d’une mort suspecte, celle de sa voisine Bonnie, impitoyable championne de limbo à la retraite.
Dessiné à la plume, l’album séduit par son trait fin et arrondi de même que par ses lignes pures et inventives. Bélugas, algues en lasagne ou en ballounes, écrevisses, cocktails extravagants, hot-dog sauce à la carte, bar clandestin enfumé, salon de quilles kitsch: ses cases à l’encre noire sont habitées par mille et un détails à déballer. Elles se succèdent comme autant de petits tableaux indépendants qu’on pourrait volontiers se surprendre à vouloir collectionner.
Empruntant aux romans de gare et au polar, Les ananas de la colère pastiche avec beaucoup d’humour ces univers ultras codés que Cathon recompose sur papier à la manière déjantée d’un Jim Jarmusch ou d’un Wes Anderson sur un high de sucre d’ananas. Même si le récit reste grossier et ses répliques prévisibles, on ne s’y ennuie pas, porté qu’il est par une authenticité, qui, elle, n’est jamais fabriquée.
Autre raison de se réjouir, la culture tiki y plastronne avec une irrévérence bien de son temps. Les incontournables danseuses de hula, par exemple, ne sont pas objectifiées, mais toutes-puissantes et baveuses à souhait. L’album au complet exsude une énergie irrésistible qui rachète largement ses ellipses lourdes et quelques maladresses narratives sur lesquelles les 7 à 77 ans ne s’arrêteront pas de peur de bouder leur plaisir.