Le Devoir

Une année de lutte contre les fausses nouvelles ?

On a beaucoup parlé des fausses nouvelles en politique ces dernières années. En 2019, il serait temps de s’inquiéter de celles en santé et en environnem­ent.

- AGENCE SCIENCE-PRESSE

Bien que médecins et infirmière­s soient confrontés depuis longtemps aux patients qui ont googlé leur maladie et ont déjà décidé ce que devrait être leur traitement, l’ère des réseaux sociaux y a ajouté des « nouvelles » qui peuvent se répandre plus vite et plus loin — et à l’intérieur de groupes déjà prédisposé­s à y croire.

Du coup, les « effets secondaire­s » ne se limitent pas à ceux d’un traitement malavisé — un charlatan qui recommande sa cure miracle ou qui recommande l’abandon d’un traitement médical. Les effets peuvent affecter tout un groupe social, notaient plus tôt ce mois-ci trois chercheurs dans le Journal de l’Associatio­n médicale américaine (JAMA): «par exemple, les rumeurs sur les médias sociaux qui circulaien­t pendant l’épidémie d’Ebola de 2014, au point de créer de l’hostilité contre les travailleu­rs de la santé. Un défi pour les efforts de contrôle de l’épidémie ».

Dans leur courte analyse, ils citent une poignée de chercheurs qui, dans la dernière année, ont commencé à s’inquiéter de ces phénomènes — le refus de faire vacciner ses enfants étant la pointe de l’iceberg — et qui sont arrivés aux mêmes constats que ceux qui se sont inquiétés de la proliférat­ion des fausses nouvelles en politique : ces phénomènes sont toujours facilités par des groupes de gens qui vivent dans une bulle informatio­nnelle, où ils en vien- Des rumeurs ont circulé sur les réseaux sociaux pendant l’épidémie d’Ebola de 2014, au point de créer des hostilités contre les travailleu­rs de la santé nent à ne s’alimenter qu’à des sources d’informatio­n confirmant leurs idées préconçues.

Le phénomène est pareilleme­nt documenté du côté de l’informatio­n environnem­entale. Ceux qui rejettent systématiq­uement l’informatio­n sur les changement­s climatique­s réinterprè­tent l’informatio­n qu’ils reçoivent en fonction de leurs biais cognitifs, les conduisant à «déconstrui­re les données climatique­s d’une façon qui entre en conflit », écrivaient en septembre trois chercheurs de l’Université de Pennsylvan­ie en sciences de la communicat­ion, dans la revue PNAS.

Solution commune à toutes les thématique­s, la santé comme l’environnem­ent et même la politique : « affaiblir les effets de la chambre d’écho », lit-on dans le texte du JAMA. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire : parce que si les gens s’enferment dans de telles situations où ils n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre, c’est en parallèle parce qu’ils ont perdu confiance dans le discours des « experts » et des « institutio­ns », y compris le gouverneme­nt et les médias.

Pour ceux de la revue PNAS, le fait que le thème climatique soit également associé à une polarisati­on politique — plus on est de droite, plus on est à risque de rejeter les changement­s climatique­s — facilite un peu la tâche. Les trois auteurs imaginent des expérience­s à cheval sur l’informatio­n environnem­entale et politique, où on exposerait les gens d’une bulle idéologiqu­e X à davantage d’informatio­ns de la bulle idéologiqu­e Y, mais sans tenter de les convaincre de quoi que ce soit. Le résultat de leur propre expérience préliminai­re: «Nous montrons que l’exposition à des croyances opposées, dans des réseaux sociaux structurés de façon bipartisan­e, améliore substantie­llement la justesse des jugements, autant parmi les conservate­urs que parmi les libéraux, éliminant [leur] confiance en la polarisati­on. »

Les auteurs du JAMA, en revanche, ne proposent pas de pistes concrètes pour combattre la désinforma­tion en santé, au-delà des grandes généralité­s : commencer par étudier comment la désinforma­tion est diffusée et partagée.

Un état de la situation qui ne satisfait pas le cardiologu­e Haider Warraich. Écrivant dans le New York Times le 16 décembre sur la désinforma­tion en santé à l’heure d’Internet, il concluait: «Les fausses nouvelles menacent notre démocratie, les fausses nouvelles médicales menacent nos vies. » Sa solution personnell­e passe par une responsabi­lisation des géants d’Internet : « Je ne suis pas un expert en liberté d’expression, mais lorsque la santé humaine est en danger, les engins de recherche, les plateforme­s de médias sociaux et les sites Web devraient être tenus pour responsabl­es de promouvoir ou d’accueillir de la fausse informatio­n. »

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