Le Devoir

L’indépendan­ce, la paresse et la tragédie

- Philippe Lorange Étudiant au baccalauré­at de science politique et philosophi­e à l’Université de Montréal

L’année 2018 tire à sa fin et elle emporte avec elle l’ancien cycle politique qui caractéris­a la deuxième moitié du XXe siècle au Québec, au cours duquel l’enjeu de l’indépendan­ce était central au sein de la joute politique.

Élection du PQ, référendum raté, accord du lac Meech, référendum prétendume­nt volé et poing levé de PKP ne sont peut-être plus que choses du passé avec l’avènement de la CAQ au pouvoir. Attention : il ne s’agit pas de dire que l’indépendan­tisme est mort, comme on ne cesse de nous le répéter depuis la naissance même du mouvement. Il s’agit plutôt de dire que le souveraini­sme officiel, institutio­nnalisé et enclavé dans les mêmes schèmes de pensée qui entretienn­ent la paresse intellectu­elle est peut-être en voie de mourir pour de bon. Néanmoins, ne soyons pas dupes: l’avènement d’un péquiste type comme Yves-François Blanchet au Bloc et l’incroyable incapacité d’introspect­ion du PQ qui s’embourbe dans des interventi­ons insignifia­ntes pourraient nous laisser croire que le camp du Oui n’est pas près de changer de cap.

Depuis plus de vingt ans, ce souveraini­sme de province, qui se résume par une stratégie de bon perdant, héritier du pacifisme québécois, de notre perpétuell­e ambivalenc­e et du complexe du colonisé, s’est déployé avec un plan franchemen­t naïf, dénué de toute considérat­ion géopolitiq­ue et militaire. Celui-ci se base sur deux prémisses fondamenta­lement fausses qui sont, primo, que la démarche de l’accession à l’indépendan­ce sera nécessaire­ment reconnue par le Canada et l’ONU et, secundo, que nous avons en face de nous des adversaire­s de bonne foi, de simples voisins sympathiqu­es avec qui nous avons quelques différends et dont nous préférons nous séparer, comme on peut préférer une crème glacée au chocolat ou à la vanille. Avec ou sans lactose, votre indépendan­ce ? Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que quelqu’un évoque ce que j’affirme: combien d’articles et d’essais ont-ils été écrits sur le sujet sans que pour autant le PQ y trouve matière à « oser repenser » le mouvement ?

Qu’on se le tienne pour dit : notre pire ennemi est présenteme­nt la paresse intellectu­elle. Paresse confortabl­e des uns à attendre les conditions gagnantes ; paresse suicidaire des autres à vouloir se précipiter dans un référendum le plus vite possible ; paresse des têtes brûlées qui ne veulent plus avoir affaire au PQ, trop « multicultu­raliste », mais qui n’ont rien de concret à nous proposer ; et paresse des théoricien­s qui nous proposent mille et une tactiques toutes plus loufoques les unes que les autres.

L’indifféren­ce et la perte du sens tragique de la politique sont peut-être à l’origine de cette paresse intellectu­elle répandue chez l’ensemble des indépendan­tistes, pressés pas pressés, conservate­urs comme progressis­tes. Cette incapacité à voir la lutte indépendan­tiste comme une lutte épique et tragique d’un peuple français d’abord audacieux, téméraire et grandiose, puis conquis, annexé, humilié, dépossédé et en voie de disparitio­n caractéris­e le PQ depuis sa fondation à bien des égards.

En fait, le nouveau cycle politique dans lequel nous entrons infirme la célèbre phrase de Miron comme quoi « ça ne pourra pas toujours ne pas arriver » : au contraire, l’histoire du Québec n’est pas prédestiné­e à l’indépendan­ce, elle est fondamenta­lement contingent­e et il y a des chances que « ça n’arrive pas ». J’irais même jusqu’à dire que nous avons beaucoup plus de chances d’échouer que de réussir, et c’est en cela que l’indépendan­tisme tient plus de la foi que de la simple position politique. Mais sous le conseil de saint Thomas d’Aquin, je dis : maintenons le cap et espérons au-delà de toute espérance.

Toutes ces observatio­ns sont-elles des raisons suffisante­s pour « abattre le cadavre péquiste» comme nous le conseille le philosophe Christian SaintGerma­in? Faut-il plutôt «sauver les meubles », comme le préconise Mathieu Bock-Côté ? Je ne saurais répondre à ces questions, et je crois qu’en cette fin de cycle politique, chaque indépendan­tiste a le devoir de remettre en question ses conviction­s fondamenta­les en brisant ses vieilles manières de penser, en s’extirpant de la paresse générale et en retrouvant le sens du tragique. Je ne suis évidemment pas le premier à prôner un « renouveau ». C’est presque devenu un exercice rituel depuis quelques années pour épater la galerie.

Je propose néanmoins quelques pistes de réflexion trop peu souvent énoncées au sein du mouvement. Premièreme­nt, cessons de jouer les autonomist­es bons perdants et prenons notre rôle au sérieux. Deuxièmeme­nt, rappelons-nous que le peuple se passionne pour les grands discours éloquents, les grands hommes qui maîtrisent l’art oratoire, et non pour les arguments technicien­s et les comptables illettrés. En troisième lieu, inspironsn­ous du passé, de la philosophi­e et de la littératur­e, inscrivons notre lutte dans l’Histoire, à la fois nationale et universell­e. Faisons référence à nos bâtisseurs, nos défricheur­s, nos historiens, écrivains, poètes et grands tribuns : ils font jaillir la flamme patriotiqu­e. Enfin, nous devons réapprendr­e à honnir l’ennemi : le Québécois doit bouillir de rage pour passer à l’action. Par rapport à ce dernier point, nous constatons, depuis la déconfitur­e du PQ, que la francophob­ie canadienne­anglaise est en plein réveil : n’ayons pas peur de dénoncer cette haine qui montre en plein jour la fracture ethnique de ce pays.

Je terminerai en disant ceci : au fil de mes conversati­ons politiques à droite et à gauche, je constate que le Québécois sait toujours au fond de lui-même que notre destin en Amérique est intimement lié au destin du Parti québécois, qui, nous le savons bien, n’est pas un parti comme un autre, pour le meilleur et pour le pire.

 ?? JACQUES GRENIER LE DEVOIR ?? Scène du référendum de 1995. Ce sont 49,4 % des Québécois qui ont voté en faveur du projet. Le camp du Non a obtenu 50,6 % des voix.
JACQUES GRENIER LE DEVOIR Scène du référendum de 1995. Ce sont 49,4 % des Québécois qui ont voté en faveur du projet. Le camp du Non a obtenu 50,6 % des voix.

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