Le Devoir

Un moment charnière pour les victimes d’agression sexuelle

- Michel Turgeon La Prairie

Les étoiles sont alignées pour que deux femmes d’exception posent un geste historique en faisant abstractio­n de leurs allégeance­s politiques pour épouser une cause commune, celle de la défense des victimes d’agression sexuelle. Ces deux femmes sont, on l’aura peut-être deviné, la ministre de la Justice du Québec, Me Sonia LeBel, et Me Véronique Hivon, porte-parole de la deuxième opposition officielle en matière de justice.

Les réactions ont été nombreuses à l’annonce toute récente qu’une seule des 14 plaintes soumises par les autorités policières a été retenue par le DPCP dans ce qui est convenu d’appeler l’affaire Rozon. On comprendra la déception, la frustratio­n, la colère et le sentiment d’injustice de celles qui avaient porté plainte, mais aussi de toutes les victimes d’agression sexuelle.

Dans la foulée de mouvements tels que #MoiAussi, il est devenu moins difficile de dénoncer des agressions qu’il y a 20 ou 40 ans, alors que les mentalités de l’époque stigmatisa­ient souvent ces femmes qui osaient porter plainte. Là où le bât blesse, c’est qu’il est si difficile, encore aujourd’hui, de porter des accusation­s devant les tribunaux.

Certes, nul ne veut qu’une personne soit accusée injustemen­t, encore moins condamnée. Mais il doit bien exister de meilleures façons de faire pour porter plainte et amener les agresseurs devant les tribunaux. Et il ne revient pas au commun des mortels de trouver ces meilleures façons de faire.

Améliorati­ons à apporter

Notre société est à un moment charnière dans la défense des victimes d’agression sexuelle. Mesdames LeBel et Hivon conviennen­t que des améliorati­ons doivent être apportées dans ce domaine. Le premier ministre François Legault s’est même dit ouvert à certaines propositio­ns de Mme Hivon. Qu’il suffise de rappeler celles de créer un comité sur le traitement des plaintes de crimes sexuels et d’implanter un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et conjugales. Mais n’allons pas plus loin à ce stade-ci pour ne pas figer le débat.

Une chose saute aux yeux, c’est que la conjonctur­e presse mesdames LeBel et Hivon à faire un geste historique. La première pourrait créer un groupe de réflexion, appelons-le comme ça pour le moment, qui aurait pour finalité de faire des recommanda­tions afin de régler un problème complexe et épineux. Et elle pourrait inviter la deuxième à la seconder en pilotant ce groupe ou ce comité. Quel tandem !

La ministre de la Justice est fraîchemen­t élue et n’a pas encore un bagage d’habitudes partisanes. C’est une juriste compétente et une femme de tête et de caractère. Mme Hivon est également juriste. C’est une rassembleu­se. Rappelons comment elle avait réussi à piloter le dossier du projet de loi sur les soins de fin de vie et de l’aide médicale à mourir, un dossier délicat qui a rallié au bout du compte les différents partis politiques.

Il est temps de passer de la parole aux actes. Mesdames LeBel et Yvon, ne laissez pas tomber toutes ces victimes d’agression sexuelle dont les dénonciati­ons sont restées sans lendemain. Apportez-leur un certain réconfort en ayant le courage de sortir des sentiers battus, de sortir des lieux communs de la politique partisane pour trouver des solutions. Aux grands maux les grands moyens. Les étoiles sont alignées, Mesdames.

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