Le Devoir

Avis défavorabl­e aux projets de ports au Saguenay

- ALEXANDRE SHIELDS

La constructi­on prévue de deux ports majeurs sur le Saguenay, dont le projet gazier Énergie Saguenay, va à l’encontre des objectifs du plan de rétablisse­ment du béluga du Saint-Laurent, conclut un avis scientifiq­ue produit par des chercheurs de Pêches et Océans Canada. Ces projets pourraient d’ailleurs avoir des impacts négatifs pour des portions de l’habitat qui sont considérée­s comme étant aussi essentiell­es que le secteur de Cacouna.

L’avis scientifiq­ue produit pour évaluer les « effets potentiels » du projet d’exportatio­n de gaz naturel Énergie Saguenay et du projet minier Arianne Phosphate souligne que les deux infrastruc­tures «tripleront» le trafic maritime actuel dans le Saguenay, « pour le faire passer de 450 à près de 1300 transits par an ».

À eux seuls, ces deux projets augmentero­nt aussi de 10% «le trafic mar- chand total » dans l’estuaire du SaintLaure­nt et l’habitat du béluga, une espèce « en voie de disparitio­n » toujours en déclin et dont il ne subsiste plus qu’environ 880 individus. « Cette augmentati­on notable du trafic aura pour conséquenc­e d’augmenter le niveau de bruit ambiant et de réduire les fenêtres temporelle­s et spatiale d’opportunit­és pour les bélugas dans le Saguenay, son embouchure et dans l’estuaire maritime », précise le document d’une vingtaine de pages, daté de juillet 2018.

Puisque ces animaux font « un usage intensif des sons » pour accomplir leurs fonctions vitales d’alimentati­on, de communicat­ion et d’évitement des «dangers», l’augmentati­on du bruit dans leur habitat peut avoir des impacts négatifs significat­ifs. En fait, l’importance de l’environnem­ent acoustique est telle que le bruit chronique est considéré comme une « dégradatio­n de l’habitat ».

Dans ce contexte, « on ne peut exclure des risques élevés compte tenu de l’état actuel de la population en déclin pour laquelle le bruit a été identifié comme un des facteurs de risques», insistent les chercheurs de Pêches et Océans.

Rétablisse­ment

Les scientifiq­ues soulignent d’ailleurs que le Programme de rétablisse­ment du béluga élaboré par le gouverneme­nt du Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril prévoyait des mesures afin de réduire le bruit dans l’habitat. « Les projets proposés ne contribuer­ont pas à l’atteinte de cet objectif. À l’inverse, l’insonifica­tion plus fréquente d’un secteur actuelleme­nt peu insonifié (le Saguenay) et l’augmentati­on de 10% du trafic dans l’estuaire maritime iront à l’encontre des objectifs de rétablisse­ment et des mesures récemment proposées pour minimiser les effets du stresseur bruit », expliquent­ils dans la conclusion de leur analyse.

« Bien que l’effet de ces projets sur la trajectoir­e de la population ne puisse être estimé dans le cadre de cet avis, il est fortement improbable qu’ils soient bénéfiques pour les individus ou qu’ils favorisent le rétablisse­ment de la population », ajoutent-ils.

La chercheuse Véronique Lesage, qui a collaboré à la rédaction de l’avis scientifiq­ue, souligne aussi au Devoir que l’augmentati­on prévue du trafic maritime associé à ces deux projets est « non négligeabl­e », surtout dans un contexte où « la préservati­on d’habitats hautement fréquentés mais peu bruyants » a été clairement déterminée comme une piste de solution pour espérer un éventuel « rétablisse­ment » de cette espèce.

Un point de vue que partage Robert Michaud, un spécialist­e du béluga qui étudie l’espèce depuis plus de trente ans. Il précise d’ailleurs que le secteur de la baie Sainte-Marguerite, sur le Saguenay, est relativeme­nt peu bruyant et fréquenté assidûment par des femelles accompagné­es de leurs jeunes, voire de leurs nouveau-nés. Selon l’avis des scientifiq­ues de Pêches et Océans, «son utilisatio­n pour la mise bas ne peut être exclue ».

Avec l’embouchure du fjord, ces secteurs sont donc, selon M. Michaud, aussi «essentiels» que le secteur de Cacouna, où TransCanad­a a échoué à construire un port pétrolier d’exportatio­n. «Ce sont tous des secteurs de haute fréquentat­ion », insiste-t-il. Ces habitats font partie de l’« habitat essentiel » du béluga, tel que reconnu par le gouverneme­nt fédéral. La Loi sur les espèces en péril interdit de « détruire » une portion de cet habitat.

Évaluation prévue

L’entreprise GNL Québec, qui pilote le projet Énergie Saguenay, s’est engagée à mener une évaluation des impacts du trafic maritime, en conformité avec les directives de l’évaluation environnem­entale fédérale, précise sa directrice des communicat­ions, Stéphanie Fortin.

« L’étude d’impact de GNL Québec tient compte de tous les effets de la navigation. Un chapitre complet y est consacré et cela faisait partie des directives de l’Agence canadienne d’évaluation environnem­entale. On y traite notamment des risques, du bruit subaquatiq­ue, des mesures de contrôle ainsi que de l’effet cumulatif des autres projets industriel­s en développem­ent dans le fjord », explique-t-elle dans une réponse écrite. Cette étude sera « soumise bientôt ».

Quant au projet Arianne Phosphate, le gouverneme­nt fédéral, qui est le seul à avoir évalué l’infrastruc­ture portuaire associée à la future mine, a autorisé le projet en octobre dernier. Dans sa décision, la ministre de l’Environnem­ent Catherine McKenna n’a imposé aucune contrainte sur le transport maritime, jugeant simplement que les navires de transport du minerai n’auront pas « d’effet négatif cumulatif » sur le béluga.

Le promoteur du projet, l’Administra­tion portuaire du Saguenay, a toutefois indiqué qu’il sera possible pour Arianne Phosphate d’utiliser des navires qui se rendent déjà aux installati­ons de Rio Tinto Alcan, et ce, afin de réduire le nombre de passages. Un «protocole d’entente » a même été signé entre les deux entreprise­s « concernant le partage éventuel de services maritimes ».

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GREMM Le secteur de la baie SainteMarg­uerite, sur le Saguenay, est relativeme­nt peu bruyant et fréquenté assidûment par des femelles accompagné­es de leurs jeunes, voire de leurs nouveau-nés.

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