Veaux, vaches, cochons…
En 1729, Jonathan Swift publia un pamphlet intitulé Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être un poids pour leurs parents ou leur pays et les rendre utiles. Afin de combattre la misère qui frappait l’Irlande du XVIIIe siècle, l’écrivain ne proposait rien de moins que d’utiliser les nourrissons comme source… d’alimentation ! On ferait ainsi d’une pierre deux coups en réduisant la taille des familles et en développant, à peu de frais, une nouvelle source d’alimentation. Dublin offrirait « un débouché annuel d’environ vingt mille pièces », avait calculé Swift.
On reconnaît bien là l’humour noir de l’auteur des Voyages de Gulliver. Le même esprit inspirerait-il l’ancien ministre français de l’Environnement Yves Cochet ? On aurait pu le penser lorsqu’il proposa récemment de supprimer les allocations familiales destinées au troisième enfant afin de… combattre les changements climatiques ! Mais on eut beau retourner ses propos dans tous les sens, on n’y trouva pas la moindre trace d’ironie.
Dans un pays qui fut un pionnier des allocations familiales, la proposition ne manquait pas d’audace. Surtout au moment où des milliers de jeunes couples et de mères de famille monoparentale qui peinent à joindre les deux bouts pour élever leurs enfants occupaient les ronds-points pour protester contre une écologie punitive qui les accable de taxes !
À quand la politique totalitaire de l’enfant unique à la chinoise ? C’est ainsi qu’en décembre un couple de la région de Drummond nous apprenait que, « pour sauver la planète », il ne ferait pas d’enfants. La belle affaire ! Il faut dire qu’à 39 ans, la famille nombreuse ne menaçait pas vraiment. Cette idée mortifère n’est pourtant que la dernière d’une série de propositions toutes plus insolites les unes que les autres qui ont récemment fait irruption dans une certaine mouvance écologiste radicale.
Ainsi le véganisme est-il devenu la dernière toquade des milieux branchés et des magazines à la mode. Sous des airs gentillets, ce mouvement n’en recouvre pas moins une idéologie antihumaniste d’un extrémisme qu’on peine à imaginer. Car il y a une marge entre la nécessaire sensibilité à la souffrance animale et la suppression de tout produit animal (cuir, fromage, laine, soie, miel, etc.) qui entraînerait la disparition de centaines de milliers de producteurs, de milliards d’animaux domestiques ainsi que de traditions et de savoirs alimentaires millénaires.
Les fondateurs de cette parodie d’antiracisme appliquée aux animaux appelée « antispécisme » ne s’en cachent pas : leur conception de la nature exclut l’homme et supprime la domestication animale apparue il y a des lustres. Comme si la grâce d’un chant d’oiseau ou la beauté d’un ruisseau au printemps n’étaient pas de pures inventions de l’homme.
Alors que l’on pensait l’écologie comme une façon d’harmoniser l’action des hommes aux besoins de la nature, on découvre qu’elle est devenue pour certains une façon d’en finir avec le genre humain en éradiquant des cultures et des modes de vie qui remontent à la nuit des temps. Quand il ne s’agit pas de planifier notre extinction démographique.
Dans les années 1990, des écologistes de la trempe de José Bové (d’ailleurs lui-même ancien éleveur de brebis) avaient le courage de s’en prendre aux McDo et autres symboles de l’alimentation industrielle. Leurs successeurs véganes ne trouvent pas mieux que de harceler les petites boucheries artisanales. En France, une douzaine d’entre elles ont ainsi été vandalisées. Au Québec aussi quelques bouchers ont été harcelés.
Avouons-le, il y a parfois chez les fidèles de l’écologie une forme de messianisme susceptible de séduire l’ancien peuple missionnaire que nous avons été. Pourtant, ce ne sont pas les petits Chinois à 25 cents qu’achetaient nos grands-parents qui ont éradiqué les famines en Chine. Comme ce ne sera pas les « lundis sans viande ni poisson » dont se sont entichées Isabelle Adjani et Juliette Binoche qui changeront quelque chose au réchauffement climatique.
Les bonnes actions individuelles comblent peut-être la soif rédemptrice judéo-chrétienne de certains. Mais elles ne remplaceront jamais une politique rationnelle capable de s’en tenir à de véritables priorités au lieu de se disperser dans ces leçons de morale à la petite semaine. Mon arrièregrand-mère a eu 23 enfants. Et je défie n’importe qui de démontrer qu’elle n’était pas plus écologiste que le premier baba cool venu qui mange du tofu, roule en trottinette électrique et n’a jamais vu une vache vêler. Elle vivait proche des animaux et connaissait mieux que nous les souffrances humaines et animales. Cela l’immunisait peut-être contre ces idéologies délétères qui sont de pures constructions de l’esprit détachées de toute réalité.
À ces extrémistes qui le critiquaient d’avoir osé faire huit enfants, l’excellent écrivain Fabrice Hadjadj a eu cette réponse sublime : « La Terre n’est belle que par la vie qui s’y déploie et cette vie se manifeste encore plus dans l’animal rationnel et souvent déraisonnable qu’on appelle homme, seul à pouvoir célébrer la beauté du monde, comprendre sa “biodiversité” et la protéger. »
Alors que l’on pensait l’écologie comme une façon d’harmoniser l’action des hommes aux besoins de la nature, on découvre qu’elle est devenue pour certains une façon d’en finir avec le genre humain en éradiquant des cultures et des modes de vie qui remontent à la nuit des temps. Quand il ne s’agit pas de planifier notre extinction démographique.