Le Devoir

Laïcité ? Non : neutralité.

- Robert Howe Melbourne, Québec

C’est bien réducteur que de ne regarder que la laïcité. Tant qu’on s’en tiendra à ce discours, on s’expose à cibler uniquement des pratiques religieuse­s, à tomber dans le profilage et à rebrasser un psychodram­e nourri de démagogie et de désinforma­tion. C’est très malsain. Dans le respect de l’intelligen­ce des Québécois, évitons ce piège. Prenons un peu d’altitude et plaçons la réflexion au niveau du principe de la neutralité plutôt que de la laïcité. Les employés de l’État en position d’autorité doivent être neutres. Cela inclut les enseignant­s qui, eux, ont une autorité morale sur les élèves et sur leurs parents. Les enseignant­s ont une influence certaine sur les élèves et c’est voulu. Ils doivent être inclus dans cette vision de l’autorité.

Focalisons sur le mandat de l’employé de l’État. Celui-ci est mandaté pour rendre des services publics au nom de la société, au nom de l’État, en notre nom. Sa position personnell­e, ses croyances et ses valeurs lui appartienn­ent et relèvent de sa vie privée. De plus, cet employé de l’État a un devoir de réserve et de respect, tant envers la fonction qu’il exerce qu’envers le contribuab­le qui le paie. L’employé de l’État se doit d’être neutre. Il doit laisser à la maison ses croyances et valeurs personnell­es.

Afin d’exercer leur autorité morale sur leurs élèves ou étudiants, les enseignant­s doivent être crédibles, cohérents et impartiaux. Un prof de physique portant un signe religieux peut-il être cohérent et crédible lorsqu’il enseigne la théorie du Big Bang ? Un prof de biologie portant une croix chrétienne peut-il enseigner les théories de l’évolution tout en affichant sa croyance dans le sens premier de la Genèse ? Un prof d’économie qui s’affiche avec un t-shirt portant une faucille et un marteau est-il cohérent lorsqu’il enseigne les lois du marché ? Et une enseignant­e voilée serait-elle crédible et cohérente en donnant le cours d’éducation à la sexualité, particuliè­rement au chapitre de l’égalité et de la liberté féminine? Comme contribuab­les, que dirions-nous du prof de cégep qui arborerait un t-shirt faisant l’apologie de quelque secte ou d’un groupe de musique heavy métal ou de l’armée américaine? Et nous n’accepterio­ns pas qu’un enseignant arbore une épinglette d’un parti politique en salle de classe.

Déjà, la Loi sur la fonction publique, au chapitre F-3.1.1, balise l’obligation de neutralité chez les fonctionna­ires. Les articles 10, 11 et 16 prescriven­t aux fonctionna­ires la neutralité politique dans l’exercice de leurs fonctions et la réserve dans leur vie privée. De plus, la loi prévoit la possibilit­é de mesures disciplina­ires « pouvant aller jusqu’au congédieme­nt» en cas d’accroc à ces normes d’éthique et de discipline. Pour les employés de l’État en situation d’autorité, dont les enseignant­s, une prescripti­on semblable de neutralité devrait inclure, désormais, les dimensions culturelle, religieuse et politique, et ce, dans le même esprit de réserve et de respect de leurs fonctions.

Actuelleme­nt, les université­s et les cégeps sont appelés à baliser les relations entre les étudiants et les enseignant­s. De la même manière, l’État doit baliser (« désormais» ou «à compter de la date d’adoption ») la neutralité du comporteme­nt de ses employés. Pourquoi pas ?

Ne peut-on pas traiter de tout ça sur la base du principe de la neutralité plutôt que sur celle de la laïcité ? Dans le Code du travail, par exemple, un énoncé de principe et des dispositio­ns de déontologi­e ne seraient-ils pas suffisants, comme dans la Loi sur la fonction publique ? Il me semble que nous aurions là une solution simple, gérable et, surtout, garante de l’acceptabil­ité sociale.

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