Le Devoir

Plutôt abolir l’impôt foncier scolaire que d’en uniformise­r le taux

- Jean-Pierre Proulx Journalist­e et professeur retraité

Le problème de l’impôt foncier scolaire n’est pas celui de l’uniformisa­tion de son taux à travers le Québec. Le problème c’est l’impôt lui-même, car il n’a plus sa raison d’être. Il est le reliquat d’une époque révolue. Aussi, le projet de loi no 3 du gouverneme­nt Legault qui sera débattu sous peu élude la vraie question.

L’école publique née en 1829 a d’abord et avant tout été conçue comme une responsabi­lité des communauté­s locales. Du reste, il n’y aura de pouvoir central qu’en 1858 avec la création du Conseil de l’instructio­n publique. Pour « donner aux habitants le goût de l’éducation», l’État a néanmoins subvention­né le corps des « syndics » chargés de les administre­r.

Si on a compté aussi sur la contributi­on parentale (les familles pauvres en étaient exemptées), l’intention première fut de financer l’éducation à même un impôt foncier puisque l’éducation était l’affaire des communauté­s. Mais son imposition n’alla pas du tout de soi et provoqua la Guerre des éteignoirs! Il fallut une bonne vingtaine d’années avant que la mesure ne soit pleinement acceptée. Quant à l’impôt sur le revenu, il ne vit le jour au fédéral qu’en 1917, et au Québec qu’en 1940.

Au milieu des années 1960 s’opéra un changement radical. L’urbanisati­on, la proclamati­on du droit de tous à l’éducation dans la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme en 1948, le développem­ent économique fulgurant d’après-guerre ont fait de l’État le premier responsabl­e d’assurer à tous le droit à l’éducation. Ainsi, en 1966, la commission Parent déclarait: «[…] c’est la société tout entière qui est responsabl­e de l’éducation la plus complète possible de chaque étudiant, sans égard à la région qu’il habite ou à son milieu d’origine. »

«No representa­tion without taxation »

La commission n’osa toutefois pas suggérer un financemen­t complet de l’éducation par l’État. Elle s’en remit à un argument de convenance pour justifier le maintien de l’impôt foncier : «La nécessité de recourir régulièrem­ent à l’impôt attache un élément important de responsabi­lité à l’autorité dont une collectivi­té investit ses représenta­nts », c’est-à-dire la commission scolaire. Autrement dit : « No representa­tion without taxation »!

Pour la commission Parent, la taxe scolaire devait servir à « financer une partie du coût du service de l’enseigneme­nt de l’école publique dans ce que ce service aura de commun à toutes les écoles et à toutes les régions. […] Il faudra le considérer, dans cette mesure, comme l’équivalent d’un impôt provincial et voir pour cette raison à en uniformise­r l’incidence à travers tout le territoire ».

Aussi recommanda-t-elle « que l’impôt foncier soit retenu pour le financemen­t des commission­s scolaires, mais qu’il prenne la forme d’un impôt général à lever uniforméme­nt partout pour le paiement des services d’enseigneme­nt des services de base offerts par l’école publique ».

Plus récemment, en 2014, le Comité d’experts sur le financemen­t, l’administra­tion, la gestion et la gouvernanc­e des commission­s scolaires (le comité Champoux-Lesage) a abouti à la même conclusion : « La taxe scolaire [est] un champ d’impôt local devenu de facto un champ d’impôt provincial. »

Pour l’heure, les revenus que génère l’impôt foncier s’additionne­nt aux subvention­s que verse le gouverneme­nt. Leurs montants sont fixés annuelleme­nt par les règles budgétaire­s du ministère de l’Éducation. Certaines dépenses ne sont toutefois pas « paramétrée­s » dans ces règles. Ces récentes années, rapporte le ministère, le produit de la taxe a servi à l’entretien et au fonctionne­ment des équipement­s, à la direction et à la gestion des établissem­ents, aux dépenses des sièges sociaux, à la moitié du transport scolaire et au budget de fonctionne­ment des conseils d’établissem­ent. Mais le fondement logique de cette répartitio­n n’est pas évident.

Aussi, on ne voit pas pourquoi toutes les dépenses ne pourraient pas être prises en charge par l’État central à même les revenus de l’impôt des particulie­rs et des entreprise­s. Les commission­s scolaires continuera­ient, comme maintenant, de répartir ensuite ces revenus selon les mécanismes déjà prévus dans la loi.

Ce serait d’autant plus justifié que l’impôt foncier est fondé sur la valeur des propriétés dont les fluctuatio­ns reposent sur celles, bien ténébreuse­s, de l’offre et de la demande. Surtout, ses paramètres varient énormément d’une région, voire d’une localité à une autre. Un bungalow construit à Anjou en 1960 vaut sans doute 600 000 $ aujourd’hui. S’il avait été érigé à Trois-Pistoles, il serait évalué à 200 000$! Enfin, il faudrait voir quel est le bénéfice net de l’impôt foncier uniformisé compte tenu des coûts liés à sa perception.

Cette propositio­n suppose évidemment un changement de vision sur le plan politique quant au financemen­t des commission­s scolaires. Avant même de débattre du projet de loi 3, il vaut la peine de se demander si c’est la voie à emprunter.

 ?? CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR ?? En 1966, la commission Parent déclarait : « […] c’est la société tout entière qui est responsabl­e de l’éducation la plus complète possible de chaque étudiant, sans égard à la région qu’il habite ou à son milieu d’origine. »
CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR En 1966, la commission Parent déclarait : « […] c’est la société tout entière qui est responsabl­e de l’éducation la plus complète possible de chaque étudiant, sans égard à la région qu’il habite ou à son milieu d’origine. »

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