Le Devoir

L’expo Les murs du désordre arrive à la Cinémathèq­ue

L’artiste Martin Bureau propose une installati­on multidispl­inaire sur les murs frontalier­s

- CAROLINE MONTPETIT

Alors que le débat autour du mur entre les États-Unis et le Mexique paralyse le gouverneme­nt Trump, le documentar­iste et artiste en arts visuels Martin Bureau invite le public à s’approcher de la réalité de quelques-uns de ces murs frontalier­s. Son exposition multidisci­plinaire Les murs du désordre prend l’affiche ces jours-ci à la Cinémathèq­ue de Montréal.

L’artiste a érigé des reproducti­ons de portions des murs qui séparent les frontières entre les États-Unis et le Mexique, entre Israël et la Palestine, ainsi qu’entre Belfast et l’Irlande du Nord. Posté devant ces reproducti­ons, le visiteur peut voir des images qui ont été tournées sur les lieux et entendre de courts extraits d’interviews de commentate­urs locaux. L’installati­on produit également une série de sons qui recréent l’atmosphère de l’environnem­ent de ces murs. Les scènes projetées sur les murs ont été tournées aux États-Unis, en Israël et à Belfast. À travers un petit judas qui perce le mur, on peut apercevoir un peu de la vie qui se déroule de l’autre côté : des jeunes qui jouent au soccer au Mexique, un jeune Palestinie­n qui joue au ballon, des protestant­s qui ont érigé le bûcher d’un « bonfire », ce feu qui célèbre tous les ans la victoire de Guillaume III d’Orange sur le roi catholique Jacques II en 1690.

Certains commentair­es exprimés par les commentate­urs sont éloquents. «D’un point de vue stratégiqu­e, les murs sont inutiles. Ils sont là pour que les politicien­s puissent dire qu’ils les ont construits. Pas pour la sécurité publique ou nationale », dit Scott Nicols, artiste visuel et activiste américain. Dans le lot, on n’entendra pas de commentair­es favorables à quelque mur que ce soit. Selon Élizabeth Vallet, de la Chaire Raoul-Dandurand et chroniqueu­se au Devoir, qui a participé au projet, il est rare de trouver des citoyens qui vivent près des murs favorables à ceux-ci. « Ils voient les problèmes que ça crée», dit-elle. Ces communauté­s ont en effet souvent développé des contacts et des échanges transfront­aliers au fil des années. Ce sont ces communauté­s qui sont affectées par les murs qui les séparent.

Du « théâtre politique »

« En Israël, les gens sont pour le mur », précise cependant Martin Bureau. Pour lui, l’érection d’un mur se résume à faire du «théâtre politique», avec une seule valeur symbolique, sans impact réel. Pour Élisabeth Vallet, les murs frontalier­s n’éliminent aucun trafic ni circulatio­n humaine entre les pays, ils ne font que les retarder. Ce qui ne justifie pas, selon elle, l’argent investi dans leur constructi­on ou dans la sécurité frontalièr­e. Par exemple, les 20 000 agents qui surveillen­t la frontière américano-mexicaine ne font pas plus d’une interventi­on par semaine, dit-elle, et le ratio entre le nombre d’agents affectés à la frontière et le nombre de migrants qui passent illégaleme­nt la frontière ne cesse de s’inverser. Selon elle, le président américain Donald Trump insiste pour construire le mur essentiell­ement à des fins électorali­stes, en misant sur la peur des citoyens américains.

À Belfast, ce sont 99 murs qui ont été érigés au fil des ans pour séparer les diverses communauté­s. « Les barrières sont restées, ont été rehaussées et se sont même multipliée­s, notamment après la signature de l’accord de paix du Vendredi saint en 1998», lit-on dans le texte qui servira de base à une websérie que Martin Bureau mettra en ligne sur son site le 21 février.

« Ironiqueme­nt, en Irlande du Nord, nous voulons abattre le nôtre après 50 ans. Nous luttons contre la ségrégatio­n physique», dit Jonny Byrne, de l’Institut de recherche en sciences sociales de l’Université d’Ulster-Belfast. L’Irlande du Nord est très divisée, poursuit-il. « Des barrières séparent les communauté­s: verts et oranges, catholique­s et protestant­s, unionistes, nationalis­tes, loyalistes et républicai­ns. On y voyait une réponse à la violence et au désordre. D’un point de vue strict, elles ont rempli leur fonction : séparer les communauté­s et créer un sentiment de sécurité. »

Autour du mur qui oppose Israël et la Palestine, on sent que deux visions s’affrontent et que l’incompréhe­nsion persiste. « Apprend-on aux enfants à haïr ? Leur dit-on que les méchants sont de l’autre côté du mur et que nous sommes les bons? C’est généraleme­nt le cas dans ce conflit. Chaque côté se prend pour la victime et voit l’autre comme l’agresseur. Tout est noir ou blanc, sans nuances », dit un intervenan­t palestinie­n dans le petit enregistre­ment qui accompagne la vidéo sur la Palestine. « Nous construiso­ns beaucoup de barrières ici, mais celles qui nous empêchent vraiment de voir la réalité, de reconnaîtr­e ce qui arrive, sont dans nos esprits. »

Apprend-on aux enfants à haïr ? Leur dit-on que les méchants sont de l’autre côté du mur et que nous sommes les bons ? C’est généraleme­nt le cas dans ce conflit. Chaque côté se prend pour la victime et voit l’autre comme l’agresseur. Tout est noir ou blanc, sans nuances. UN PALESTINIE­N

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PHOTOS MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR L’artiste Martin Bureau a érigé des reproducti­ons de portions des murs qui séparent les frontières entre les États-Unis et le Mexique, entre Israël et la Palestine, ainsi qu’entre Belfast et l’Irlande du Nord.
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JOHN HART WISCONSIN STATE JOURNAL ASSOCIATED PRESS
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