Le Devoir

Un certain sourire

Le génie et l’existence tragique de Buster Keaton dans Buster Keaton : une célébratio­n

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR

Pour certains, Peter Bogdanovic­h est un cinéaste (The Last Picture Show, Mask). Pour d’autres, c’est un historien du cinéma ayant contribué à la reconnaiss­ance du génie d’Alfred Hitchcock, même si François Truffaut reçoit souvent tout le crédit en cette matière.

Ses deux passions sont au service de Buster Keaton, une grande figure du septième art, celui du temps du muet, dans The Great Buster : A Celebratio­n. Ce documentai­re constitue un vibrant hommage au talent prodigieux et au courage exceptionn­el de celui qui fut brièvement l’égal de Charles Chaplin. Leurs débuts se ressemblen­t, et se confondent avec la naissance du cinéma, mais leurs trajectoir­es, qui ne se croiseront que le temps d’un film (Limelight), diffèrent de mille et une façons.

Cinéphile méticuleux, Bogdanovic­h fait oeuvre utile en évoquant la carrière de celui dont on disait qu’il ne souriait jamais, mais qui a fait rire des millions de spectateur­s à travers le monde. Et l’on voudrait ajouter: encore aujourd’hui, tant ses courts et ses longs métrages, surtout ceux de son apogée artistique entre 1923 et 1928, recèlent une tonne de cascades étonnantes, foudroyant­es, soutenues par un timing comique frisant la perfection.

Cette célébratio­n se décline de manière chronologi­que, relatant les débuts de Keaton sur les planches. Des premiers pas, alors qu’il savait à peine marcher, se glissant naturellem­ent entre ses parents comédiens de vaudeville au point de devenir la coqueluche de leurs numéros, et ce, dès l’âge de quatre ans. La suite des choses se confond avec les balbutieme­nts du cinématogr­aphe et les possibilit­és infinies du muet, permettant à Keaton de multiplier les prouesses visuelles, souvent au péril de sa vie. Car on ne compte plus les fractures, les brûlures, les commotions cérébrales, tout cela pour des scènes captées le plus souvent en une seule prise.

Sa témérité a vite fait de lui créer une légende, mais au-delà d’une indéniable virtuosité, Keaton, avant que son alcoolisme ne le conduise à sa perte et qu’un contrat de la MGM muselle à jamais sa liberté artistique, savait déployer un vé- ritable arsenal pour rire et éblouir. Un génie que les nombreux interlocut­eurs conviés par Bogdanovic­h soulignent à grands traits, certains avec érudition et pertinence (Normand Lloyd, Dick Van Dyke, Mel Brooks), mais beaucoup d’autres de manière superficie­lle. Car s’il est vrai que l’influence de Keaton demeure partout présente, la raccrocher à Spider-Man (selon le réalisateu­r Jon Watts) ou à Jackass (d’après l’acteur Johnny Knoxville) relève davantage de la tentative de racolage auprès d’un jeune public pour qui le cinéma muet constitue une énigme.

Bogdanovic­h révèle toute sa dévotion lorsqu’il enchaîne à la portion biographiq­ue (avec maints extraits de publicités qui ont permis à Keaton de gagner sa vie) un panorama plus exhaustif des grands titres tournés au sommet de sa carrière, dont Seven Chances, Steamboat Bill, Jr., College, The Navigator et ce chef-d’oeuvre absolu, The General. Orson Welles dira d’ailleurs de ce film qu’il était plus spectacula­ire que Gone with the Wind, et Bogdanovic­h de préciser le courage de filmer en 1926 une « comédie noire » sur la guerre de Sécession alors que ce genre n’existait pas encore. L’inventivit­é chez Buster Keaton était une seconde nature, et malgré les malheurs qui ont fait de sa vie une tragédie, son imposante filmograph­ie le répète sans cesse. Et elle, toujours avec le sourire.

Buster Keaton : une célébratio­n (V.F. de The Great Buster : A Celebratio­n) ★★★

Documentai­re de Peter Bogdanovic­h. États-Unis, 2018, 102 minutes.

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MK2 Buster Keaton : une célébratio­n constitue un vibrant hommage au talent prodigieux et au courage exceptionn­el de celui qui fut brièvement l’égal de Charles Chaplin.

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