Le Devoir

La dette de plus en plus inquiétant­e des entreprise­s

Les deux tiers de la dette mondiale de 184 000 milliards se trouvent dans le secteur privé Après la dette des ménages canadiens, puis la dette des gouverneme­nts à la suite de la Grande Récession, c’est de la dette des entreprise­s qu’on s’inquiète de plus

- ÉRIC DESROSIERS

Le temps des Fêtes est inévitable­ment suivi de son cortège de dettes, d’états de compte et autres factures qui nous rappellent le prix à payer pour les jours d’insouciant­es réjouissan­ces passées. Certains trouveront peut-être matière à réconfort en apprenant qu’ils ne sont pas seuls à devoir de l’argent à d’autres. Selon le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), l’ensemble des dettes publiques et privées à l’échelle mondiale atteignait un sommet historique de 184 000 milliards $US en 2017. L’essentiel de cette dette est le fait des pays riches, les États-Unis comptant à eux seuls pour presque 50 000 milliards et le Japon, pour presque 20 000 milliards. Leur poids dans le total va toutefois en diminuant, les économies émergentes ayant commencé, elles aussi, à s’endetter de plus en plus, menées par la Chine, dont la dette dépasse 30 000 milliards.

Ces chiffres étourdissa­nts ne veulent évidemment rien dire si on ne les compare pas à la richesse relative des pays qui doivent supporter cet endettemen­t. La dette mondiale totale était ainsi plus de deux fois plus importante (225 %) en 2017 que le produit intérieur brut mondial, en recul par rapport au pic de 236 % atteint dans les jours les plus sombres de la Grande Récession, mais en légère hausse par rapport à l’année précédente. Cette proportion est particuliè­rement élevée au Japon, à presque 400 %, contre environ 255 % aux États-Unis et en Chine, et seulement 171 % en Allemagne.

Le Canada se situe au-dessus de la moyenne des pays avancés (266 % du PIB) avec une dette totale dépassant 500 milliards, soit plus de trois fois (304 %) la taille de son économie. Plus des deux tiers de cette dette (71 %) ne viennent pas des gouverneme­nts, mais des entreprise­s et des ménages du secteur privé.

Multipliée par trois depuis les années 1950, la dette de ce secteur privé « est

Le Canada se situe au-dessus de la moyenne des pays avancés avec une dette totale dépassant 500 milliards, soit plus de trois fois la taille de son économie. Plus des deux tiers de cette dette (71 %) ne viennent pas des gouverneme­nts, mais des entreprise­s et des ménages du secteur privé.

au centre de l’évolution de la dette mondiale », où elle compte désormais pour près des deux tiers du total, expliquait la semaine dernière le FMI.

De plus en plus d’observateu­rs se demandent aujourd’hui si la prochaine crise économique ne viendra pas de ce côté, et plus particuliè­rement de l’endettemen­t des entreprise­s. En montant absolu, cet endettemen­t équivaut à 70 % du PIB aux États-Unis et à plus de 100 % dans la zone euro, rappelait l’Agence France-Presse, jeudi, alors qu’en Chine, elle est quelque part entre les deux.

On s’en fait surtout pour la dette des compagnies dont la situation financière est tellement bancale que les agences de notation confèrent à leurs titres de dette une nature spéculativ­e, à une décote du statut « d’obligation­s de pacotille ». De 750 milliards en 2007, la valeur totale de ces dettes de mauvaise qualité dépasse désormais 2700 milliards aux États-Unis, rapportait lundi le Financial Times.

Les risques que plusieurs de ces compagnies se cassent la figure à la première décote venue, au moindre hoquet de l’économie ou après la première hausse des taux d’intérêt de trop apparaisse­nt tellement grands que Steve Eisman, l’investisse­ur rendu célèbre par le film Le casse du siècle (The Big Short) pour avoir parié sur l’éclatement de la bulle immobilièr­e aux États-Unis qui allait entraîner la Grande Récession, en a fait son nouveau sujet d’intérêt.

Mauvais souvenir

Il n’est pas le seul. Dans un discours cet automne, l’ancienne présidente de la Réserve fédérale américaine Janet Yellen mettait elle aussi en garde contre le « risque systémique » que représente la dette de ces entreprise­s. Le danger, explique-t-elle, vient, d’une part, du fait que ces compagnies sont déjà lourdement endettées et, d’autre part, qu’une partie de leurs dettes se retrouve disséminée dans le marché financier sans qu’on en garde trop la trace, comme cela avait été le cas avec les subprimes durant la bulle immobilièr­e américaine.

La grande majorité des observateu­rs ne craignent quand même pas trop que tout cela tourne encore une fois à la crise financière. La croissance mondiale apparaît encore relativeme­nt solide, observaien­t cette semaine la Banque mondiale comme la Banque du Canada. On subira tout au plus, dans un an ou deux, un ralentisse­ment plus marqué ou une modeste récession.

Le problème est qu’il n’en faudra probableme­nt pas plus aux entreprise­s — comme aux ménages — les plus endettées pour se retrouver en sérieuse difficulté. L’autre problème, rappelait mardi le chroniqueu­r du Financial Times Martin Wolf, est que le fort niveau d’endettemen­t de certains gouverneme­nts les empêchera aussi de déployer les mesures de relance économique nécessaire­s pour rebondir le plus vite possible.

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