Le Devoir

Souffrir jusqu’à ce que mort soit prévisible

Et si le Canada avait pris exemple sur la législatio­n belge ?

- ISABELLE PARÉ

Le critère de mort « raisonnabl­ement prévisible » prévu par la loi fédérale sur l’aide à mourir a mené à un imbroglio juridique, aujourd’hui exacerbé par le procès entamé par deux malades québécois incurables qui en sont privés. L’expérience belge démontre que d’autres issues sont possibles.

Après les Pays-Bas, la Belgique a été le second pays européen à décriminal­iser l’euthanasie en 2002. Or l’expérience vécue depuis 15 ans dans le plat pays apporte un éclairage fort pertinent sur les forces et les failles des lois encadrant ce choix de fin de vie.

« Nous nous sommes battus dès la rédaction de la loi pour ne pas limiter l’accès à l’euthanasie aux personnes en phase terminale, car pour beaucoup de malades aux prises avec de multiples pathologie­s incurables, le décès n’est pas prévisible », affirme Me Jacqueline Herremans, présidente de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie en Belgique ainsi que de l’Associatio­n pour le droit de mourir dans la dignité.

D’ailleurs, le dernier rapport de la Commission fédérale belge, déposé en juillet 2018, est probant. Jusqu’à 15 % des demandes d’euthanasie déposées en 2016-2017 ont été faites par des patients dont l’échéance de vie était jugée « lointaine ».

Parmi eux, des patients atteints d’affections autres que des cancers (64 %), notamment de maladies neurodégén­ératives (7 % du total), de troubles respiratoi­res ou cardiaques graves (8 %) et de « polypathol­ogies » (jusqu’à 16 %). Les avancées de la médecine font des miracles, mais elles augmentent en revanche le nombre de personnes survivant avec des pathologie­s graves, à un âge de plus en plus avancé.

Selon Me Herremans, la loi belge donne préséance à l’autonomie du patient et au caractère irréversib­le et intolérabl­e de sa souffrance plutôt qu’à l’imminence de sa mort.

En Belgique, l’échéance non prévisible du décès n’empêche pas l’accès à l’aide à mourir, elle ne fait qu’ajouter des conditions à l’autorisati­on de la demande, notamment par la consultati­on obligatoir­e d’un spécialist­e de la pathologie concernée et d’un psychiatre.

« La demande peut être faite un mois avant la mort anticipée, ou 5 ans, 10 ans, 20 ans. La loi belge est fondée sur la volonté du patient, mais cela s’effectue toujours dans un contexte médical guidé par les souffrance­s graves et incurables », insiste-t-elle.

Des patients comme Nicole Gladu et Jean Truchon, les deux patients incurables à l’origine du procès qui bat son plein au Québec, pourraient donc fort probableme­nt être admissible­s à l’euthanasie en Belgique, à moins d’un avis médical contraire.

Un noeud

Pour la juriste belge, la loi canadienne est venue « poser une difficulté » avec le critère de mort « raisonnabl­ement prévisible ». Le libellé assimile ce soin à un moyen médical d’abréger une vie déjà sur son déclin plutôt qu’à une issue pour soulager le cul-de-sac thérapeuti­que vécu par les patients condamnés à d’atroces souffrance­s. « Il y a un certain dolorisme dans cette vision », pense Me Herremans.

En Belgique, le législateu­r a dû s’ajuster au fil des ans aux situations nouvelles, notamment en ouvrant l’accès à l’aide à mourir aux personnes atteintes de troubles psychiatri­ques graves en 2008 et en devenant le premier pays à autoriser l’euthanasie pour les mineurs de plus de 12 ans en 2014. Seulement trois mineurs se sont prévalus de la loi depuis, et la loi limite l’accès aux jeunes dont la mort est prévue à brève échéance.

«Cela a engendré des débats complexes, mais l’ouverture aux mineurs a été appuyée par le même nombre de votes à l’Assemblée législativ­e que la première mouture de la loi en 2002. Car la société évolue avec la loi », précise Me Herremans.

Le nombre de demandes d’euthanasie en Belgique est passé de 259 en 2003 à 2309 en 2017. Depuis 15 ans, plus de 17 000 Belges se sont prévalus de la loi, dont 4337 en 2017, soit 181 par mois. Étonnant ? La population vieillit, les cas de cancers et les polypathol­gies augmentent, affirme Me Herremans.

« Au début, personne ne s’objectait à ce qu’on accorde l’euthanasie à une personne mutilée par un cancer. Quand une patiente de 39 ans souffrant de sclérose en plaques a fait la première demande, ce fut la surprise. Nous avons dû convenir que d’autres gens pouvaient vivre des impasses qui répondaien­t aux critères de la loi », explique-t-elle.

À preuve, même le chef du Parti démocrate-chrétien, dont la formation s’était vivement opposée à la loi en 2002, a fini par demander l’euthanasie au crépuscule de sa vie. « La plasticité de la loi » a permis que celle-ci s’adapte au contexte social et à l’évolution de la médecine.

Pente glissante

Quant au danger de la « pente glissante » brandi par les détracteur­s d’une loi trop permissive, l’avocate y voit une vue de l’esprit puisque l’aide à mourir, même en Belgique, ne représente toujours que 2 % des décès totaux.

« En partant de zéro, c’est sûr que les demandes augmentent. Mais avant, il y avait beaucoup, beaucoup d’euthanasie­s clandestin­es, pratiquées avec des cocktails douteux, sans aide ni accompagne­ment du patient pour en arriver à une solution mûrement réfléchie. »

Pour la présidente de la Commission fédérale belge, ce sont les patients qui font évoluer les élus, qui souvent manquent de courage politique sur cette question.

« On [la Belgique] est aujourd’hui à l’aise avec des situations nouvelles. S’ils interrogea­ient leurs électeurs, dit-elle, les élus verraient que la majorité des citoyens sont plus ouverts qu’ils ne le pensent et favorables à une évolution. »

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Jean Truchon, l’un des deux requérants qui contestent les lois québécoise et canadienne sur l’aide à mourir.
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