Le Devoir

Un conflit aux effets multiples

Quelle est l’ampleur des conséquenc­es économique­s régionales du lockout chez ABI ?

- FRANÇOIS DESJARDINS

Si le lockout à l’Aluminerie de Bécancour (ABI) a des effets très concrets sur les 1030 ménages directemen­t touchés, le portrait global des conséquenc­es économique­s est plus difficile à chiffrer, bien que l’usine soit le plus gros employeur privé de la région.

« Ce n’est pas évident », dit en entrevue la présidente de la Chambre de commerce et d’industrie du Coeurdu-Québec, Sonia Caron. « La seule donnée qu’on connaît vraiment vient de la Ville de Bécancour, c’est-à-dire ce que l’ABI rapporte en matière de taxes. »

Environ 14 % du budget de la municipali­té découle des revenus fiscaux provenant de l’usine, a indiqué le maire, Jean-Guy Dubois, lors d’un entretien à Radio-Canada il y a trois semaines. Aucune étude d’impact n’a encore quantifié les effets du lockout sur les commerçant­s, selon Mme Ca- ron. « On sait que des sous-traitants ont dû mettre à pied des employés qui ne sont toujours pas réembauché­s, on sait qu’il y a des conséquenc­es sur la restaurati­on. »

À sa connaissan­ce, aucun commerce n’a fermé ses portes à cause du conflit, « même si certains ont vécu un ralentisse­ment » de leurs activités, notamment à proximité de l’établissem­ent de production. « Il y a moins de 5 à 7. Les gens ne se rassemblen­t pas après le travail pour aller prendre une bière. Après le piquetage, ils sont plus portés à rentrer à la maison », dit Mme Caron.

Retombées annuelles

La présence régionale d’ABI, dont les deux actionnair­es sont Alcoa (75 %) et Rio Tinto Alcan (25 %), est considérab­le. Chaque année, elle se traduit par des retombées de 618 millions en raison des achats, des impôts et des taxes, a estimé Alcoa en 2015 dans un rapport de développem­ent durable. En guise de comparaiso­n, les retombées de l’aluminerie de Baie-Comeau étaient estimées à 363 millions, contre 320 millions pour Deschambau­lt.

« Ça représenta­it un pourcentag­e de notre chiffre d’affaires qui n’est plus là, soudaineme­nt, alors ça nous a forcés à trouver d’autres marchés», dit Luc Blanchette, du Groupe MBI, qui effectue de l’entretien à l’aluminerie. « On n’est ni en difficulté ni en péril. Ça n’occupait pas un pourcentag­e suffisamme­nt gros dans notre total. » Environ 80 employés étaient rattachés au

contrat lorsque le lockout a été déclenché. « La majorité d’entre eux travaillen­t aujourd’hui, que ce soit pour nous dans un autre contrat » ou dans une autre entreprise.

Invitée à commenter la question, l’entreprise a transmis au Devoir une déclaratio­n publiée jeudi dans laquelle elle affirme notamment que ABI est « sensible à l’impact de ce conflit sur les employés, les familles, les clients, les fournisseu­rs et la communauté ».

Pendant des mois après le déclenchem­ent du lockout, les cadres de l’aluminerie ont exploité seulement une des trois séries de cuves. Au milieu du mois de décembre, l’entreprise a indiqué qu’elle avait décidé de mettre au repos la moitié des dernières cuves toujours en activité.

Le conflit, traité comme un cas de force majeure par ABI, a aussi pour effet de libérer l’entreprise de certaines dispositio­ns l’obligeant à acheter de l’électricit­é auprès d’Hydro-Québec. Ainsi, la société d’État et « le gouverneme­nt ont perdu près de 220 millions de revenu en raison du lockout », a avancé vendredi le syndicat des Métallos.

À cause notamment de la grande complexité des données à colliger, le ministère du Travail n’a pas chiffré les conséquenc­es économique­s précises du conflit, a indiqué au Devoir l’attachée de presse du ministre du Travail, Caroline d’Astous.

Créneau d’excellence

Le secteur manufactur­ier de la région « évolue présenteme­nt à deux vitesses », a écrit en novembre le Mouvement Desjardins dans une étude portant sur le Centre-du-Québec. « Des industries sont en croissance, dont la fabricatio­n de machines. Toutefois, dans la première transforma­tion des métaux, la production est au ralenti depuis le début de 2018 » en raison du lockout.

L’aluminerie a une influence importante auprès du créneau régional axé sur la conception et la fabricatio­n de machines, dit Frédéric Laurin, professeur en économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le créneau compte plus de 200 sociétés, spécialisé­es notamment dans la fabricatio­n de produits métallique­s, la première transforma­tion de métaux et la fabricatio­n de produits minéraux non métallique­s. De 30 à 40 % de la sous-traitance se fait dans la région, selon lui. «L’ABI est au coeur de ça. C’est un gros donneur d’ordres, qui soutient en partie l’existence du créneau, d’une certaine façon. »

 ?? GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE ?? Le Syndicat des Métallos est particuliè­rement irrité par la clause entourant la définition de force majeure du contrat avec Hydro-Québec, qui permet à ABI de ne pas acheter la totalité du volume d’électricit­é figurant dans ce contrat.
GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE Le Syndicat des Métallos est particuliè­rement irrité par la clause entourant la définition de force majeure du contrat avec Hydro-Québec, qui permet à ABI de ne pas acheter la totalité du volume d’électricit­é figurant dans ce contrat.

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