Un conflit aux effets multiples
Quelle est l’ampleur des conséquences économiques régionales du lockout chez ABI ?
Si le lockout à l’Aluminerie de Bécancour (ABI) a des effets très concrets sur les 1030 ménages directement touchés, le portrait global des conséquences économiques est plus difficile à chiffrer, bien que l’usine soit le plus gros employeur privé de la région.
« Ce n’est pas évident », dit en entrevue la présidente de la Chambre de commerce et d’industrie du Coeurdu-Québec, Sonia Caron. « La seule donnée qu’on connaît vraiment vient de la Ville de Bécancour, c’est-à-dire ce que l’ABI rapporte en matière de taxes. »
Environ 14 % du budget de la municipalité découle des revenus fiscaux provenant de l’usine, a indiqué le maire, Jean-Guy Dubois, lors d’un entretien à Radio-Canada il y a trois semaines. Aucune étude d’impact n’a encore quantifié les effets du lockout sur les commerçants, selon Mme Ca- ron. « On sait que des sous-traitants ont dû mettre à pied des employés qui ne sont toujours pas réembauchés, on sait qu’il y a des conséquences sur la restauration. »
À sa connaissance, aucun commerce n’a fermé ses portes à cause du conflit, « même si certains ont vécu un ralentissement » de leurs activités, notamment à proximité de l’établissement de production. « Il y a moins de 5 à 7. Les gens ne se rassemblent pas après le travail pour aller prendre une bière. Après le piquetage, ils sont plus portés à rentrer à la maison », dit Mme Caron.
Retombées annuelles
La présence régionale d’ABI, dont les deux actionnaires sont Alcoa (75 %) et Rio Tinto Alcan (25 %), est considérable. Chaque année, elle se traduit par des retombées de 618 millions en raison des achats, des impôts et des taxes, a estimé Alcoa en 2015 dans un rapport de développement durable. En guise de comparaison, les retombées de l’aluminerie de Baie-Comeau étaient estimées à 363 millions, contre 320 millions pour Deschambault.
« Ça représentait un pourcentage de notre chiffre d’affaires qui n’est plus là, soudainement, alors ça nous a forcés à trouver d’autres marchés», dit Luc Blanchette, du Groupe MBI, qui effectue de l’entretien à l’aluminerie. « On n’est ni en difficulté ni en péril. Ça n’occupait pas un pourcentage suffisamment gros dans notre total. » Environ 80 employés étaient rattachés au
contrat lorsque le lockout a été déclenché. « La majorité d’entre eux travaillent aujourd’hui, que ce soit pour nous dans un autre contrat » ou dans une autre entreprise.
Invitée à commenter la question, l’entreprise a transmis au Devoir une déclaration publiée jeudi dans laquelle elle affirme notamment que ABI est « sensible à l’impact de ce conflit sur les employés, les familles, les clients, les fournisseurs et la communauté ».
Pendant des mois après le déclenchement du lockout, les cadres de l’aluminerie ont exploité seulement une des trois séries de cuves. Au milieu du mois de décembre, l’entreprise a indiqué qu’elle avait décidé de mettre au repos la moitié des dernières cuves toujours en activité.
Le conflit, traité comme un cas de force majeure par ABI, a aussi pour effet de libérer l’entreprise de certaines dispositions l’obligeant à acheter de l’électricité auprès d’Hydro-Québec. Ainsi, la société d’État et « le gouvernement ont perdu près de 220 millions de revenu en raison du lockout », a avancé vendredi le syndicat des Métallos.
À cause notamment de la grande complexité des données à colliger, le ministère du Travail n’a pas chiffré les conséquences économiques précises du conflit, a indiqué au Devoir l’attachée de presse du ministre du Travail, Caroline d’Astous.
Créneau d’excellence
Le secteur manufacturier de la région « évolue présentement à deux vitesses », a écrit en novembre le Mouvement Desjardins dans une étude portant sur le Centre-du-Québec. « Des industries sont en croissance, dont la fabrication de machines. Toutefois, dans la première transformation des métaux, la production est au ralenti depuis le début de 2018 » en raison du lockout.
L’aluminerie a une influence importante auprès du créneau régional axé sur la conception et la fabrication de machines, dit Frédéric Laurin, professeur en économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le créneau compte plus de 200 sociétés, spécialisées notamment dans la fabrication de produits métalliques, la première transformation de métaux et la fabrication de produits minéraux non métalliques. De 30 à 40 % de la sous-traitance se fait dans la région, selon lui. «L’ABI est au coeur de ça. C’est un gros donneur d’ordres, qui soutient en partie l’existence du créneau, d’une certaine façon. »