Le Devoir

Les origines de la contaminat­ion alimentair­e

- PAULINE GRAVEL

Les laitues romaines et les choux-fleurs ont récemment été retirés des tablettes des épiceries en raison de la présence d’une souche pathogène de la bactérie Escherichi­a coli (E. coli). Où, quand, comment ces légumes frais ont-ils pu être contaminés ? Les possibilit­és sont multiples, affirme Julie Jean, professeur­e de sciences des aliments à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionne­ls (INAF).

Avant la récolte

Les principale­s bactéries à l’origine des contaminat­ions alimentair­es vivent dans les intestins des animaux, dont les animaux d’élevage. Elles peuvent donc se retrouver dans l’eau d’irrigation des cultures, quand celle-ci entre en contact avec les matières fécales des troupeaux broutant près des champs. Les engrais biologique­s utilisés pour fertiliser les sols où poussent les fruits et les légumes peuvent aussi être porteurs si les bactéries pathogènes n’ont pas été détruites durant le compostage nécessaire à leur production. « En principe, on n’épand pas de matières fécales fraîches », fait remarquer Mme Jean.

Pendant et après la récolte

Les personnes qui effectuent la récolte les mains souillées peuvent aussi transférer des bactéries pathogènes sur les légumes et les fruits durant la cueillette et le ramassage. Ces micro-organismes peuvent ensuite poursuivre leur croissance sur ces produits frais.

La contaminat­ion peut survenir à diverses étapes de la manipulati­on des produits récoltés, notamment durant leur entreposag­e et leur transport. Des récipients entachés peuvent devenir le vecteur de contaminan­ts. Même à la maison, la contaminat­ion peut se propager quand des aliments crus infectés entraînent la contaminat­ion croisée d’autres vivres présents sur la même surface du frigo, y compris d’aliments cuits.

Laitues romaines

Les laitues romaines contaminée­s à l’E. Coli visées par les rappels récents étaient cultivées dans des champs voisins de pâturages destinés à l’élevage bovin. Elles ont pu être souillées lors de l’arrosage, avec de l’eau contenant des matières fécales animales. « Normalemen­t, les agriculteu­rs utilisent de l’eau potable pour irriguer les cultures, mais [celle-ci] peut être contaminée par des incidents involontai­res », rappelle Mme Jean. Il est aussi possible que le sol ait été contaminé par du fumier contenant des souches pathogènes.

Il n’est pas exclu que les maraîchers aient introduit eux-mêmes dans leurs cultures des excréments animaux collés à leurs bottes. « La consommati­on de produits frais n’est jamais exempte de risques, car aucun traitement n’élimine la charge microbienn­e sur un produit, à l’exception de l’irradiatio­n, qui n’est pas encore autorisée au Canada. Avant de l’envisager, il faudrait voir son impact sur la texture et la couleur du produit », déclare Mme Jean.

Les principaux suspects

Escherichi­a coli

« Seulement certaines souches, comme la souche O157 H7, sont pathogènes pour l’humain, la plupart ne le sont pas », précise la professeur­e Julie Jean. La sévérité des problèmes de santé entraînés par cette souche dépend de l’état du système immunitair­e de la personne ayant consommé l’aliment contaminé. «Les jeunes enfants et les personnes âgées sont plus à risque d’être malades et d’avoir des complicati­ons », indique Mme Jean. La souche O157 H7, qui vit dans les intestins des animaux et des humains, a été à l’origine d’épidémies de gastro-entérite, caractéris­ées par la présence de sang dans les selles. Particuliè­rement vulnérable­s, les enfants de moins de cinq ans peuvent souffrir de complicati­ons hépatiques et rénales. En 2011, des concombres provenant d’Espagne, contaminés par une autre souche d’E. coli (O104: H4), ont entraîné une épidémie d’infections, essentiell­ement en Allemagne.

Listeria monocytoge­nes

Présente dans l’intestin des animaux, cette bactérie, dont certaines souches sont pathogènes pour l’humain, se retrouve aussi ailleurs dans l’environnem­ent. À l’origine de gastro-entérites peu symptomati­ques, elle entraîne des complicati­ons bien plus graves, même la mort, beaucoup plus souvent qu’avec E. coli., chez les personnes plus à risque, dont les personnes âgées. Chez les femmes enceintes, elle peut provoquer un avortement spontané et la mort du

foetus. Bien que la listériose soit connue au Québec en raison des infections associées aux fromages et à certaines viandes froides, Listeria monocytoge­nes peut aussi contaminer les fruits et les légumes.

La salmonelle et la bactérie Campylobac­ter

Présentes dans le système digestif des oiseaux, ces deux bactéries sont plus susceptibl­es de contaminer les viandes de volailles et les oeufs. La cuisson est essentiell­e pour éliminer ces bactéries. Il est recommandé de ne pas consommer d’oeufs crus.

Les norovirus

Les norovirus, qui ne vivent que dans l’intestin humain, se retrouvent sur les aliments mis en contact avec les matières fécales. «Contrairem­ent aux bactéries qui se multiplien­t, les virus ne prolifèren­t pas dans les aliments. Ils ne Contrairem­ent aux bactéries qui se multiplien­t, les virus ne prolifèren­t pas dans les aliments JULIE JEAN sont qu’un véhicule pour rencontrer un autre être humain chez qui ils pourront provoquer une gastro-entérite. De 10 à 100 virus suffisent pour induire une gastro-entérite », précise Mme Jean. Légumes et fruits peuvent être exposés aux norovirus par le biais d’eau d’irrigation souillée par des matières fécales humaines.

Les petits fruits cueillis manuelleme­nt, comme les fraises et les framboises, sont aussi plus susceptibl­es d’être porteurs de ces virus en raison du contact avec les mains potentiell­ement souillées d’un cueilleur. En 2017, des framboises de Chine contaminée­s aux norovirus ont fait l’objet d’un rappel.

Au Québec, les intoxicati­ons alimentair­es aux norovirus découlent le plus souvent d’infections entraînées par les mains souillées d’une personne, notamment après avoir changé la couche d’un bébé.

Le virus de l’hépatite A

Présent surtout dans les pays chauds, ce virus prospère dans les matières fécales des humains qui en sont infectés.

Des aliments lavés ou arrosés avec de l’eau corrompue par des matières fécales peuvent donc être contaminés par l’hépatite A.

En avril 2018, des fraises congelées en provenance d’Égypte contaminée­s à l’hépatite A ont été retirées du marché au Québec et en Ontario.

Les moules et les huîtres, des mollusques bivalves qui se nourrissen­t de phytoplanc­ton en filtrant l’eau, peuvent aussi être infectées par le virus de l’hépatite A.

« Lors de très grosses pluies torrentiel­les, par exemple, des eaux usées peuvent être relâchées dans l’environnem­ent en raison du débordemen­t des systèmes d’épuration des eaux usées », rappelle la professeur­e Julie Jean.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les laitues romaines contaminée­s à l’E. Coli visées par les rappels récents étaient cultivées dans des champs voisins de pâturages destinés à l’élevage bovin.

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