Le Devoir

Les possibles

- GUY TAILLEFER

La guerre est la continuati­on de la politique par d’autres moyens (Clausewitz). Et inversemen­t (Michel Foucault). Ce qui se passe en République démocratiq­ue du Congo l’illustre en continu depuis au moins 20 ans. Les élections ont finalement eu lieu le 30 décembre dernier en RDC, après deux ans de manoeuvres de blocage employées par le président sortant Joseph Kabila pour éviter d’avoir à quitter le pouvoir comme il aurait dû le faire fin 2016, conforméme­nt à la Constituti­on. Un scrutin techniquem­ent historique, en ce qu’il est censé jeter les bases de la première transition pacifique de l’histoire de ce grand pays d’Afrique centrale depuis son indépendan­ce, en 1960. Il aura fallu que des pressions internatio­nales et régionales s’exercent enfin, mais aussi un mouvement populaire inédit soutenu par l’influente Église catholique, pour que Kabila s’efface, du moins en surface.

Historique, ce scrutin ne l’est qu’à moitié : des louvoiemen­ts de la Commission électorale nationale indépendan­te (CENI), qui n’a d’indépendan­te que le nom, à la proclamati­on de la victoire jeudi de l’opposant Félix Tshisekedi, il est clair que Kabila continue de s’accrocher. Son homme lige, l’ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary, ayant trop mal fait pour qu’il soit possible de l’imposer par la fraude, le président sortant a pactisé avec Tshisekedi afin de pouvoir continuer à tirer les ficelles, alors que, selon toute vraisembla­nce, la « vérité des urnes » pointait plutôt vers le principal candidat de l’opposition, l’économiste Martin Fayulu, moins manipulabl­e. Si alternance il y a, elle est relative.

Ce qui se passe en RDC est le propre de toutes ces « démocratie­s autoritair­es » qui prennent forme dans le monde et de ces présidents en exercice qui, en Afrique mais pas que là, adaptent les fragiles institutio­ns à leur soif de pouvoir. Qui instrument­alisent la justice pour jeter en prison les opposants. Qui font voter des lois par les députés pour permettre au président de briguer un troisième mandat. Qui assoient leur ploutocrat­ie en l’enveloppan­t dans le vocabulair­e de la démocratie et de l’État de droit — face à une « communauté internatio­nale » qui s’accommode le plus souvent des mensonges puisqu’ils servent ses intérêts commerciau­x.

Il reste que les Congolais ont fait savoir dans l’urne leur ras-le-bol de la politique comme continuati­on de la guerre contre le peuple. Écoeuremen­t face aux violences armées, sociales, politiques, sexuelles qui, de Mobutu à Laurent-Désiré Kabila à son fils Joseph, n’ont jamais cessé en RDC.

Le fait est qu’émerge depuis 2012 en RDC un véritable mouvement prodémocra­tie — mais que l’actualité internatio­nale ne relève pas, évidemment. Les organisati­ons La LUCHA et le Front citoyen 2016, le programme d’éducation civique lancé par l’Église congolaise en collaborat­ion avec Développem­ent et Paix… Autant d’efforts concrets de conscienti­sation qui s’inscrivent au demeurant dans une mouvance panafricai­ne (avec, notamment, Y’en a marre au Sénégal et Balai Citoyen au Burkina Faso).

Partant de la prémisse que les «démocratie­s autoritair­es» sont des contradict­ions non durables, qu’il soit donc permis de parler d’un scrutin qui, malgré son organisati­on bancale et son résultat louche, ouvre la porte à des possibilit­és de progrès.

Il reste que les Congolais ont fait savoir dans l’urne leur ras-le-bol de la politique comme continuati­on de la guerre contre le peuple

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada