Le Devoir

Fiction

Chronique d’une dérive personnell­e sur fond de catastroph­es collective­s

- CHRISTIAN DESMEULES COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Andrew P. Cohen, 52 ans, est un homme à qui tout semble avoir réussi. Professeur de «culture comparée» à l’Université de New York (NYU), il habite le chic Upper West Side à Manhattan. Il collabore régulièrem­ent au New Yorker,à Harper’s et à la New York Review of Books. Père de deux grandes filles qui l’adorent, il a même réussi son divorce (il est resté en bons termes avec son exfemme) et fréquente une ancienne étudiante qui a la moitié de son âge.

En ce début de septembre 2000, un mot pourrait définir le professeur Cohen, caricature de l’intellectu­el juif new-yorkais héritier des personnage­s de Woody Allen et de Philip Roth: satisfacti­on.

Sous ces apparences lisses se jouent cependant le début d’une crise de la cinquantai­ne et d’autres enjeux plus anciens encore. Alors qu’approche le 11 septembre 2001, une profonde remise en question s’impose.

Puis, Andrew Cohen est soudaineme­nt assailli de visions étranges: un immense taureau blanc dévale une rue sous ses yeux, des victimes de l’Holocauste lui racontent leurs derniers moments. Une plaque rouge apparaît sur l’une de ses joues. Le voile du réel peu à peu se déchire, tandis que sa judéité se rappelle à lui.

Même le couple semi-clandestin qu’il forme avec la jeune Ann Lee bat de l’aile. Leurs conversati­ons ne sont plus les mêmes qu’autrefois, leur vie sexuelle est devenue terne, l’alchimie entre eux semble être loin derrière. «Cette époque semblait appartenir à une autre vie. »

L’effritemen­t est au coeur de La maison de ruines, premier roman de Ruby Namdar, d’abord écrit et publié en hébreu — le lecteur francophon­e lisant ainsi la traduction d’une traduction.

Ce professeur de littératur­e juive, né en Israël dans une famille juive iranienne, spécialist­e des textes bibliques et talmudique­s, qui vit luimême à New York depuis une quinzaine d’années, a remporté avec ce roman le prix Sapir, le plus important prix littéraire israélien — financé par les recettes de la loterie nationale.

Entre le jeu et l’érudition, avec un certain humour il faut le dire, Ruby Namdar a parsemé son texte de références difficilem­ent perceptibl­es pour le lecteur connaissan­t peu le judaïsme. Découpé en sept livres séparés par des passages choisis du Talmud et de la Bible, La maison de ruines est ainsi la chronique d’une chute personnell­e qui se superpose à celle de deux catastroph­es collective­s — celle du peuple élu et celle de toute une ville.

Une habile mise en roman d’un malaise prophétiqu­e, où la destructio­n du temple de Jérusalem annonce l’effondreme­nt des tours du World Trade Center.

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DANIEL HULSHIZER LA PRESSE CANADIENNE Alors qu’approche le 11 septembre 2001, une profonde remise en question s’impose pour le personnage du premier roman de Ruby Namdar.
 ??  ?? La maison de ruines★★★ 1/2 Ruby Namdar, traduit de l’anglais par Sarah Tardy, Belfond, Paris, 2018, 550 pages
La maison de ruines★★★ 1/2 Ruby Namdar, traduit de l’anglais par Sarah Tardy, Belfond, Paris, 2018, 550 pages

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