Louis Cornellier
Au Québec, la culture générale est à la fois valorisée et méprisée. À part quelques brutes, en effet, presque tout le monde reconnaît qu’il vaut mieux en avoir que d’en être privé. Pourtant, en général, l’acquisition de cette culture est laissée au hasard ou à l’initiative individuelle. Pire encore, on confond souvent la culture générale avec des divertissements bourgeois comme des voyages d’agrément, l’assistance aux spectacles du Cirque du Soleil ou la passion du vin.
Or, la culture générale, ce n’est pas ça. Dans son Plaidoyer pour la culture générale au cégep (PUL, 2018, 144 pages), Florian Péloquin en propose une définition plus juste en la présentant comme le «réseau de connaissances que l’individu s’est construit à partir de ce qui est digne d’être retenu dans les arts et lettres, dans les savoirs scientifiques et techniques et parmi les événements d’hier et d’aujourd’hui ».
Cette culture, précise-t-il, n’est pas qu’une affaire de mémorisation. Il s’agit plutôt de «connaissances structurées» qui« s’ intègrent à une organisation intellectuelle». Affirmer, par conséquent, que posséder cette culture serait devenu, aujourd’hui, moins nécessaire qu’hier puisqu’on peut la retrouver facilement dans Internet n’a pas de sens. «La culture générale n’est pas celle qui se retrouve à l’extérieur de la personne, explique Péloquin, mais bien à l’intérieur d’elle-même, dans sa mémoire. »
Une boussole existentielle
Docteur en philosophie et en éducation, Florian Péloquin m’a enseigné la philosophie au collégial. Il fait partie de ceux qui m’ont fait découvrir et aimer cette matière. Son mode de vie, presque entièrement consacré aux choses de l’esprit sur fond de simplicité volontaire, m’a inspiré encore plus que ses cours. L’homme, en toute discrétion, est un sage.
Pour lui, la culture générale n’est pas un vernis servant à briller en société, mais une boussole existentielle. « Elle aide à interpréter le monde et à prendre des décisions plus éclairées dans l’espace public et aussi dans notre sphère privée, écritil. Plus une personne a de la culture générale, plus son jugement aura de chances d’être solide, reposant sur des sources historiques diverses ou sur des comparaisons significatives.»
Péloquin souhaite donc, et nous avec lui, promouvoir le développement de cette culture chez les jeunes. Dans cette mission, la famille a un rôle à jouer, mais toutes les familles ne disposent pas des mêmes moyens. La société doit aussi collaborer en entretenant des lieux de culture accessibles et en proposant du contenu médiatique de qualité.
L’école, cela dit, reste le milieu le plus propice à la transmission d’un riche socle de connaissances essentielles, et le cégep, parce qu’il accueille les jeunes à un âge « qui les rend aptes à mieux intégrer des éléments de culture générale », doit assumer le rôle principal en cette matière.
Est-il à la hauteur de sa mission? Pour répondre à la question, Péloquin, dans le cadre de sa thèse de doctorat en éducation, a lu ce qui s’est écrit sur le sujet et a rencontré 21 professeurs du collégial. Il ressort de sa démarche que la qualité de la culture générale des diplômés du secondaire «ne répond pas aux attentes» et que le parcours collégial ne corrige que partiellement ces lacunes.
Une culture commune
Dans ces conditions, la nécessité de maintenir les cours obligatoires de littérature et de philosophie pour tous s’impose. Pour assurer la transmission d’un fonds culturel commun, il conviendrait toutefois d’en préciser le contenu en y ajoutant quelques éléments précis.
On ne devrait pas, par exemple et à mon avis, pouvoir donner un cours de littérature québécoise au cégep sans parler de Nelligan, d’Hémon, de Miron et de Gabrielle Roy. En philosophie, un cégépien finissant devrait connaître au moins Socrate, Freud et Arendt. Péloquin plaide aussi pour l’ajout d’un cours d’histoire pour tous étant donné que, dans un test soumis à plus de 1000 étudiants en 2001, les résultats aux questions d’ordre historique se sont avérés particulièrement faibles.
La culture générale, continue le philosophe, doit inclure des connaissances liées aux sciences humaines et aux sciences naturelles. Les programmes actuels, à cet égard, sont trop minces. Il conviendrait de les bonifier en y incluant des éléments d’histoire et de culture scientifique. Il manque quelque chose de fondamental à l’étudiant en sciences humaines à qui le mot «Shoah» ne dit rien et à l’étudiante en sciences de la nature qui ne sait presque rien du big bang et de Darwin.
« La culture, écrivait Malraux, c’est ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers. » Si on veut que les nouvelles générations en soient conscientes et trouvent ainsi du sens à leur vie, il faut se donner les moyens de transmettre cet héritage, le plus précieux d’entre tous.