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Quand de petites municipalités se mettent d’accord pour protéger un territoire, ça fait plus d’espaces naturels pour les citoyens
Au tournant des années 2000, dans l’ère de la fusion des municipalités, un groupe de citoyens de Mont-Tremblant se mobilise pour créer un organisme d’utilité sociale, la fiducie du Domaine Saint-Bernard. Le but: défendre l’accès public sur un lot de 595 hectares, comprenant deux montagnes (Saint-Bernard et Onontio), mis en vente par leur propriétaire, les Frères de l’Instruction chrétienne. Résultat: la municipalité de Mont-Tremblant l’acquiert avec la mission prioritairede protéger le territoire à perpétuité dans un contexte de développement immobilier intense.
Dix-neuf ans plus tard, les résidents locaux ont toujours un accès gratuit à 80km de pistes de ski de fond, 27km de sentiers de raquettes et 3km de marche hivernale. Et durant les assemblées de la fiducie, les discussions vont bon train. «Le plan d’aménagement de l’écoparc municipal que nous avons mis à jour cette année se concentre sur l’ouverture du territoire, mais dans les limites du moindre impact, précise Guy Pressault, président de la fiducie du Domaine Saint-Bernard. Nous menons des débats de tous les instants pour perpétuer la mission de protection face aux pressions des promoteurs.»
Une situation qui ressemble fort à celle du parc du Domaine Vert, un territoire équivalent en superficie racheté en 1984 par quatre municipalités des Basses-Laurentides: Blainville, Boisbriand, Mirabel et SainteThérèse. Celles-ci constituent alors une Régie intermunicipale pour gérer plusieurs zones forestières en assemblée générale. On y compte notamment une douzaine de kilomètres de pistes pour le fatbike dans une forêt de feuillus, de conifères et de chênes, disséminée sur un terrain très accessible. Sans compter des sentiers pour le ski de fond, la raquette et même un anneau de glace. L’été, on y pratique le vélo de montagne, l’arbre en arbre, l’escalade et le tir à l’arc.
«Le Domaine Vert est le seul parc qui reste dans cette région possédant une forte densité de population, dit Joël Côté, gestionnaire d’Arbre en arbre Mirabel. Les discussions sur la construction de condos sont régulières!» Pour l’heure, les résidents locaux ont, eux aussi, accès gratuitement au parc, tandis que les visiteurs doivent débourser 15$ pour la journée. Cette somme, qui sert surtout à financer le damage des pistes, est aussi une façon de favoriser le plein
La mobilisation régionale à des fins de protection territoriale semble devenir peu à peu la norme dans des régions où le développement s’accélère
air de proximité: une meilleure qualité de vie et… moins de déplacements en voiture.
Cette mobilisation régionale aux fins de protection territoriale semble devenir peu à peu la norme dans des régions où le développement s’accélère. Comme dans le massif des Falaises qui s’étend dans les Pays-d’enHaut et qui renferme notamment la
réserve Alfred-Kelly, propriété de Conservation de la nature Canada, un organisme qui développe des programmes de conservation de terres privées à des fins publiques. Le comité régional pour la protection des falaises a ainsi été créé en 2003 pour pérenniser les fameux escarpements de Piedmont, Prévost et Saint-Hippolyte.
«Les activités sont permises dans ce qu’on a coutume d’appeler ici le parc des falaises, explique Ericka Thiériot, coordonnatrice à la protection des milieux naturels pour le Comité régional pour la protection des Falaises. Mais la priorité demeure la sauvegarde du milieu, car on y trouve plusieurs espèces végétales et animales protégées par un statut provincial ou fédéral.»
On y voit notamment la grenouille des marais, la chauve-souris nordique, cendrée et argentée et le faucon pèlerin. Mais si elles ne sont pas soutenues par les deniers du comité, les activités comme la randonnée ou l’escalade de glace (sous l’égide de la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade) sont permises sur le territoire à la condition pour les usagers d’adopter les règles du Sans trace. Pas d’infrastructures d’hébergement, certes, mais la gratuité totale y est de mise.
Des modèles inspirants
Cette gestion visionnaire ne date pas d’hier. En 1987, déjà, une poignée de citoyens de la région de Sutton et de Mansonville s’inspiraient du modèle américain du Land Trust. Ainsi naissait la fiducie foncière de la vallée Ruiter, un OBNL qui gère des terrains privés donnés par leurs propriétaires dans un but de conser vation.
«Cette opération est très réglementée puisqu’elle s’inscrit dans le cadre de programmes gouvernementaux, comme le don écologique ou la servitude de conservation, faits auprès d’organismes reconnus, comme le nôtre, en échange de crédits d’impôt», explique Marie-Claire Planet, présidente de la fiducie foncière de la vallée Ruiter.
Selon les programmes, ces lots de terrains sont assujettis à de strictes limitations concernant la coupe forestière ou la construction. Toujours estil que c’est bel et bien la fiducie qui agit en gardienne des lieux: «La vallée Ruiter est ouverte au public, précise Mme Planet, ce qui en fait un beau réseau quadrillé par l’accès routier. »
On y trouve des sentiers de niveau facile à intermédiaire propices à la randonnée, au ski de fond et à l’observation faunique. Des sorties encadrées proposent même de l’initiation à l’identification des traces laissées par la présence animale. Reste que, sans la mobilisation citoyenne, et le soutien des municipalités et des gouvernements, ces territoires resteraient fermés au public. Tout simplement.