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En matière de protection des lacs, la Californie et le Nevada donnent l’exemple
Mark Twain, comme Frank Sinatra, a succombé au charme de ce joyau niché dans un écrin de montagnes aux cimes enneigées. À cheval entre le Nevada et la Californie, le lac Tahoe, qui culmine à près de 1900 mètres d’altitude, est un vrai bijou, aussi magnifique que fragile.
À moins d’une heure de route de Reno, le plus grand lac alpin d’Amérique du Nord étale sa beauté et ses eaux d’une éblouissante clarté sur 35km de long et 19km de large. Cette merveille de la nature attire chaque année des touristes toujours plus nombreux qui viennent goûter aux plaisirs de la pêche et des sports nautiques l’été, ou dévaler les pentes de prestigieuses stations de ski l’hiver.
En toutes saisons, les plus vaillants se lancent à l’assaut des 266 kilomètres du Tahoe Rim Trail pour faire le tour du lac sur les chemins autrefois empruntés par le peuple Washoe et se remplir les poumons du même «air pur et raffiné que respirent les anges», comme l’écrivit Mark Twain.
L’auteur des Aventures de Tom Sawyer n’a pas manqué de saluer le splendide bleu émeraude du lac Tahoe comme «la plus belle image que la terre puisse offrir». Longtemps, cette couleur a été attribuée à une eau d’une transparence telle que le ciel n’aurait aucun mal à s’y refléter. Une étude menée par le Centre UC Davis de recherche environnemental de Tahoe a établi que ce bleu très vif était dû à une carence en algues et en argile, qui peuvent altérer la couleur d’un lac.
Le bleu éclatant
Responsable de ce bleu éclatant, l’environnement du lac Tahoe est au coeur de toutes les attentions. Basé à Incline Village, sur la rive nord du lac, le Centre UC Davis effectue des recherches pour mieux comprendre un écosystème menacé par l’activité humaine. Par le passé, le développement touristique et industriel a déjà mis en péril un équilibre relativement fragile. Dans les années 1960, la construction des Tahoe Keys sur la rive sud, dans des zones humides qui servaient de filtres naturels pour limiter les apports en nutriments et en sédiments dans les eaux du lac, s’est révélée être un vrai désastre écologique.
Aujourd’hui, un tel projet n’aurait aucune chance de voir le jour. Mandatée par la Californie et le Nevada pour protéger le bassin de Tahoe, la TRPA (Tahoe Regional Planning Agency) impose des règles très strictes en matière de développement immobilier. En 2000, la signature du Lake Tahoe Restoration Act, sous l’impulsion de l’ancien président démocrate Bill Clinton, a également permis de dégager des millions de dollars pour venir au secours du lac et de son environnement.
Ces dernières années, des mesures fortes ont été adoptées, comme l’instauration d’un contrôle de toutes les embarcations avant leur mise à l’eau. Ce programme d’inspection, qui vient de fêter ses 10 ans, a permis de tenir à l’écart des espèces invasives qui auraient pu avoir un impact négatif sur la clarté et l’écosystème du lac. «Ce programme a été un franc succès et a été exporté dans d’autres lacs un peu partout aux États-Unis», se félicite l’environnementaliste Heather Segale, du Centre UC Davis de Tahoe.
De fait, le lac Tahoe sert souvent d’exemple à suivre pour tout ce qui touche à la préservation des lacs. Auteur de recherches sur le lac Saint-Charles, principale source d’eau potable de la ville de Québec, le biologiste de l’Université Laval Warwick Vincent a collaboré avec les équipes du Centre UC Davis, notamment avec le limnologue Charles Goldman, un pionnier en la matière qui a conduit une étude de 43 ans sur la clarté des eaux du lac Tahoe. Mais la protection du lac n’est pas seulement l’affaire des chercheurs. À Incline Village comme à Crystal Bay, qui a été le théâtre de la passion orageuse entre Frank Sinatra et Ava Gardner et vu le crooner aux yeux bleus nouer des relations troubles avec quelques mafieux autour d’une table de casino, les autocollants «Keep Tahoe Blue» sont partout. Comme pour mieux rappeler que «préserver le bleu de Tahoe» est l’affaire de tous.
Cette devise est aussi celle du Tahoe Film Fest. Depuis sa première édition en 2015, l’événement — qui a reçu en décembre dernier la visite d’Ethan Coen, venu présenter La ballade de Buster Scruggs, réalisé avec son frère Joel — s’est donné pour mission de collecter des fonds pour les SWEP (Sierra Watershed Education Partnerships). «Le but, par l’entremise de cette organisation, est de sensibiliser les nouvelles générations, dès le plus jeune âge, à la protection de l’écosystème fragile du lac Tahoe», confie le directeur du festival, Robert Roussel.
De son côté, Northstar California, l’une des plus importantes stations de ski dans le bassin-versant du lac, a pris l’engagement de ne plus émettre de gaz à effet de serre et d’éliminer complètement la mise en décharge de déchets d’ici 2030. «Les changements climatiques nous ont obligés à réfléchir aux moyens qui étaient à notre portée pour inverser la tendance», explique Tim Stansell, responsable du développement durable pour la compagnie Vail Resorts, qui possède une dizaine de stations de ski aux États-Unis, dont trois sur les rives du lac Tahoe (Northstar, Heavenly et Kirkwood).
En attendant d’atteindre son objectif, Northstar California a équipé ses canons à neige de têtes capables de produire des flocons à des températures plus élevées. Depuis 1910, le nombre de jours où l’air reste sous le point de congélation a considérablement diminué dans la région, entraînant une baisse d’environ 20% des précipitations neigeuses. Le lac s’est aussi réchauffé, menaçant sa clarté légendaire, malgré les efforts pour rendre sa grandeur à ce joyau aux eaux cristallines. À Tahoe comme ailleurs, le réchauffement climatique n’est pas une simple théorie, encore moins une fake news.