La lumière vaincra l’abattement
La poésie, parent pauvre du monde de l’édition? Nous ne colporterions pas pareil lieu commun si l’occasion ne se présentait pas de l’entamer à l’aide d’une nouvelle glanée sur les réseaux sociaux. La fatigue des fruits, recueil que lançait Jean-Christophe Réhel à l’Oie de Cravan au printemps, est le livre dont le plus grand nombre d’exemplaires se sont écoulés en 2018 à la librairie montréalaise Le Port de Tête.
Peu importe ce réjouissant épiphénomène, le chantre du pas grandchose s’était déjà démené tout au long des douze mois précédents afin que l’année lui appartienne, en publiant trois livres. Que trouve-t-on dans La douleur du verre d’eau, le troisième d’entre eux? En vrac: les soliloques saugrenus d’un gars ayant un pied de chaque côté de la réalité, des inventaires de raisons de vivre ou de mourir, ainsi que les confidences d’un élu de la tragédie, investi des dons surnaturels les plus déprimants que vous puissiez imaginer («Je fais pousser des ambulances avec mes larmes »).
Chez Réhel, les vers sont longs, les poèmes (souvent) longs et le temps, trop long et trop court. Tout demande toujours des trésors d’efforts, tout est toujours à refaire et l’usure du corps se creuse au même rythme que la vaisselle sale s’empile.
Heureusement que les tâches ménagères apaisent notre homme, qui sait que la beauté appelle la patience : «Je travaille 60 ans / pour louer un appartement sur tes lèvres.» La poésie, on l’aura compris, ne tient pas chez lui à un travail de déconstruction de la syntaxe, mais à la réunion de mots qui ne devraient pas se trouver côte à côte, unis au sein de phrases simples.
Moins ciselé que son précédent recueil, La douleur du verre d’eau mise toujours cependant sur ces mêmes leitmotivs nombreux et sur ce même effet d’accumulation qui engourdit. « [C]haque matin en me levant / l’ensoleillement des choses / ça me file entre les doigts», regrette Réhel, bien que dans ses livres, la lumière gagne chaque fois, à l’arraché, sur l’abattement.