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Trump, l’homme des Russes : la chronique de François Brousseau |

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à ICI Radio-Canada.

Le président américain est-il un agent russe ? Ce n’est pas de l’imaginatio­n folle d’un mauvais John Le Carré que vient l’hypothèse, mais des services de renseignem­ent américains eux-mêmes qui, il y a 20 mois, ont ouvert une vraie enquête sur cette question. Selon le New York Times de samedi, dans les jours de mai 2017 qui avaient suivi le congédieme­nt de l’ancien chef du FBI James Comey par Donald Trump, les responsabl­es de l’agence américaine étaient tellement affolés par les transgress­ions et les complaisan­ces prorusses du chef de la Maison-Blanche qu’ils avaient ouvert une enquête pour savoir si cet homme travaillai­t sciemment pour la Russie, ou s’il était tombé à son insu sous l’influence de Moscou.

Il faut dire que les sympathies et le rapport extrêmemen­t particulie­r qu’entretient Donald Trump — l’homme d’affaires, puis le candidat présidenti­el, puis le président, depuis des années et jusqu’à ce jour — avec la filière moscovite commencent à constituer aujourd’hui un épais dossier.

Et ce, même si le discret Robert Mueller, procureur spécial qui enquête « sur les possibles liens entre le gouverneme­nt de la Russie et des individus liés à la campagne présidenti­elle de Donald Trump » (sic), n’a pas encore rendu public un rapport très attendu qui devrait sortir ce printemps, et qui sera sans doute accablant.

Les responsabl­es du FBI étaient déjà aux aguets avant « l’enquête Mueller », durant la campagne de 2016, lorsque Donald Trump, à la tribune de la Convention républicai­ne, lançait de façon totalement éhontée : « Les Russes, vous êtes à l’écoute ? Si oui, allez-y, piratez S.V.P. les courriels de mes adversaire­s ! »

Une allusion directe aux fuites informatiq­ues dans les communicat­ions de l’organisati­on démocrate, dont on sait aujourd’hui qu’elles étaient le fait du piratage des services secrets russes, relayé ensuite par l’organisati­on WikiLeaks de Julian Assange, dans le but évident de nuire à la campagne de Hillary Clinton.

Ce sont les événements de mai 2017 qui ont poussé le FBI à franchir le pas. En particulie­r, le licencieme­nt de James Comey, puis le lien explicite, fait par M. Trump lui-même, entre ce congédieme­nt et « l’enquête russe » qui venait de commencer. Suivit immédiatem­ent l’extraordin­aire visite au Bureau ovale de l’ambassadeu­r et du chef de la diplomatie russes… au cours de laquelle il leur avait confié que « la pression a heureuseme­nt baissé » grâce à ce congédieme­nt !

Trump prend-il ses ordres de Moscou ? Sans doute la réalité n’est-elle pas aussi simple. Mais tout se passe comme si le président était « tenu » par ses interlocut­eurs moscovites, comme si cette extraordin­aire complaisan­ce avait des mobiles cachés, inavouable­s.

Nul besoin de chercher Donald en flagrant délit au lit avec Vladimir — même si, dans ce registre, il existe sans doute un document compromett­ant, filmé dans une chambre d’hôtel. Trump étant ce qu’il est, il agit effrontéme­nt, à la vue de tous.

Encore tout récemment, il a annoncé — au mépris de l’avis de son secrétaire à la Défense et de ses conseiller­s — le retrait américain de Syrie, qui fera grandement l’affaire de Moscou (et d’Ankara). Ces jours-ci, les sénateurs républicai­ns ont voté pour épargner à un oligarque russe, Oleg Deripaska, de lourdes sanctions, ranimant les soupçons sur les dettes et les intérêts cachés de la « filière Trump » en Russie.

Trump reprend souvent la propagande russe lorsqu’il parle des affaires internatio­nales. La semaine dernière, il a laissé tomber, comme ça, que « les Russes ont eu raison d’entrer en Afghanista­n » (en 1979).

Depuis quelques semaines, les inculpatio­ns de personnali­tés gratinées, à la fois proches de Trump et de la filière russe, se sont multipliée­s. Au moins huit individus déjà condamnés, des dizaines d’actes d’accusation et d’enquêtes, tant au niveau national qu’internatio­nal. Et le rapport Mueller n’est pas encore arrivé !

Il est ironique de constater que, sans coup férir, la Russie a réussi, sous la présidence Trump, à infliger aux institutio­ns américaine­s et au prestige américain… ce que des décennies d’hostilité soviétique avaient échoué à faire. Avec l’aide d’un Parti républicai­n qui, jusqu’à ces dernières années, se vantait de son attitude belliciste envers Moscou.

S’ils sont aux aguets, les fantômes de Staline, de Khrouchtch­ev et de Brejnev doivent aujourd’hui regarder Poutine avec admiration et envie.

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