Le Devoir

Et le financemen­t des écoles privées ?

- Francine Duperré VILLE DE QUÉBEC

Prioriser l’éducation représente un objectif fort louable de la part du gouverneme­nt de M. Legault. Plusieurs changement­s, dont la constructi­on de nouvelles écoles, le démantèlem­ent des commission­s scolaires, l’école obligatoir­e jusqu’à 18 ans et la maternelle 4 ans sont prévus. Un article de Marco Fortier paru dans Le Devoir du 31 décembre 2018 présente l’orientatio­n du ministre de l’Éducation, M. Jean-François Roberge : « On va faire des changement­s, mais ça va déranger. »

Un enjeu majeur a cependant été ignoré par le ministre jusqu’à maintenant, celui du financemen­t des écoles privées. Selon le Conseil supérieur de l’éducation, le système scolaire québécois se révèle le plus inégalitai­re au Canada. Dans ce contexte, on est en droit de se demander comment on peut espérer améliorer la réussite scolaire sans aborder cet enjeu crucial.

L’Ontario, souvent citée en exemple par la Coalition avenir Québec, n’offre aucun financemen­t aux écoles privées. Chez nos voisins, tous les efforts humains et financiers visent à offrir les meilleures écoles publiques possible dans un réel souci d’équité et d’inclusion. Seulement 5 % des élèves du secondaire fréquenten­t l’école privée en Ontario, comparativ­ement à plus de 20 % au Québec. Les écoles privées québécoise­s, malgré un financemen­t public important, accueillen­t majoritair­ement des élèves provenant de milieu socioécono­mique élevé et font très peu de place aux élèves ayant des difficulté­s d’apprentiss­age.

L’idée derrière l’arrêt du financemen­t des écoles privées n’est pas de faire économiser de l’argent à l’État, mais plutôt de se concentrer sur le développem­ent d’une école publique égalitaire et performant­e, en augmentant les chances de réussite du plus grand nombre. Il apparaît injuste que le gouverneme­nt aide des écoles privilégié­es auxquelles la majorité des jeunes Québécois n’ont pas accès, leurs parents n’ayant pas les moyens financiers suffisants. Cette situation va à l’encontre de tout principe d’égalité des chances.

Marchandis­ation

Certaines écoles publiques offrent des programmes particulie­rs, l’accessibil­ité reposant principale­ment sur la qualité du dossier scolaire des élèves. Ces programmes ont été développés en bonne partie dans le but de concurrenc­er l’école privée. De nombreux experts se questionne­nt d’ailleurs sur les effets malsains et la marchandis­ation de l’éducation découlant de cette concurrenc­e. De leur côté, nos classes publiques ordinaires comptent 20 % d’élèves en difficulté au primaire et 30 % au secondaire.

Afin de réaliser un réel changement en éducation au Québec, on doit miser entièremen­t sur un réseau scolaire public composé d’écoles et de classes hétérogène­s, et augmenter les ressources et les services individuel­s complément­aires pour les élèves ayant des besoins particulie­rs. Je partage l’opinion de Marie-Andrée Chouinard dans son éditorial du 8 janvier, qui suggère de relever le difficile défi de « raffiner davantage notre modèle inclusif ».

Qu’un jeune éprouve une difficulté à un moment ou à un autre de son cheminemen­t, ou qu’il ait un talent particulie­r, il importe que le parcours scolaire public lui offre la souplesse et les ressources nécessaire­s pour se développer. Le dépistage précoce des difficulté­s d’apprentiss­age devrait être orienté vers des mesures d’accompagne­ment aux enfants et aux familles, en évitant toute forme d’étiquetage et de stigmatisa­tion de la différence. L’accord de ressources supplément­aires aux écoles défavorisé­es se montre aussi essentiel, il est de notre responsabi­lité collective de permettre à nos enfants les plus vulnérable­s d’accéder à la diplomatio­n.

Nos enfants, peu importe leur provenance socioécono­mique et leur potentiel, pourraient ainsi bénéficier de services éducatifs publics adaptés à leurs besoins, tout en apprenant à s’entraider et à collaborer comme ils auront à le faire plus tard sur le marché du travail. Les choix qu’on privilégie en éducation façonnent en grande partie notre société.

J’invite donc le ministre de l’Éducation, M. Jean-François Roberge, à avoir le véritable courage de déranger en mettant fin au financemen­t des écoles privées et en assurant l’égalité des chances en matière d’éducation au Québec. La réussite scolaire requiert qu’on priorise un système d’éducation public inclusif, qu’on ajoute du soutien à nos enseignant­s et qu’on se montre créatif afin de répondre aux besoins particulie­rs de chacun de nos enfants.

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