Le Devoir

Deux Strauss valent mieux qu’un

Du concert de l’OSM de la fin de semaine, on retiendra la prestation du chef

- CHRISTOPHE HUSS

Nikolaj Szeps-Znaider, nouveau directeur musical de l’Orchestre national de Lyon, nous a parlé brièvement en anglais en s’excusant ainsi : « Je ne parle pas encore français. Je vais apprendre. » Si Szeps-Znaider a pris le micro, c’est pour nous expliquer pourquoi l’ouverture de La chauve-souris de Johann Strauss avait remplacé la Danse des sept voiles de Richard Strauss en fin de programme. Cette raison est demeurée obscure en fin d’explicatio­n. Johann Strauss terminait le concert sur une note plus «champagne ». Deux Strauss valent finalement mieux qu’un.

Belle évolution

Il est agréable de voir que le changement de carrière du violoniste Nikolaj Znaider, qui vient de rallonger son nom pour l’occasion, s’opère de manière très positive. Il est musicaleme­nt plus inspiré et, techniquem­ent à l’aise, se crée plus de marge de manoeuvre que ses collègues reconverti­s Itzhak Perlman ou Maxim Vengerov.

Szeps-Znaider gère la Suite du Chevalier à la rose (la grande suite orchestral­e, pas les « suites de valses ») très méticuleus­ement. Après un début qui manque de souffle et tient plutôt de la peinture minutieuse, le chef trouve vraiment l’élan, le ton et les textures des deux derniers tiers de l’oeuvre, avec des attaques de cordes subtiles. Dans le ton, Szeps-Znaider évite le côté liquoreux de la direction de Daniele Gatti avec l’Orchestre national de France, en visite à Montréal en 2011.

Ce goût sûr, notamment dans les transition­s et le choix des tempos, se retrouve dans l’ouverture de La chauvesour­is, très finement travaillée et esthétique­ment juste.

Une inutile reprise

Après une ouverture de Berlioz très sonore, sans folie mais bien campée, Alain Lefèvre était le pôle d’attraction de la première partie, et du concert, pour bien des spectateur­s présents. On aimerait dire de belles choses sur le pianiste, qui a choisi de jouer en rappel Les feuilles mortes, «pour une jeune femme trop tôt disparue », un geste humain sensible envers un membre de l’orchestre qui a perdu sa fille récemment. Mais nous ne sommes là ni pour saluer les décisions de box-office d’une institutio­n ni pour enjoliver les choses.

Alain Lefèvre avait déjà joué le 1er Concerto de Tchaïkovsk­i à Lanaudière en juillet 2016 et le résultat était médiocre. Nous avions alors écrit : « L’approche était plutôt retenue et prudente sans que l’on puisse deviner si le chef protégeait le pianiste ou si le soliste n’arrivait pas à bouger un orchestre passableme­nt inerte » et pensions que Lefèvre n’avait pas ce concerto « naturellem­ent dans les doigts ». Mais il faisait froid (13 degrés en juillet !) et l’orchestre constitué pour l’occasion était mené par un chef moyen.

Allant au second de deux concerts à la Maison symphoniqu­e de Montréal avec l’OSM et un chef cadrant parfaiteme­nt les choses et voyant que les questionne­ments et problèmes sont les mêmes, qui plus est aux mêmes endroits, les doutes sont levés.

Le fuyant passage Prestissim­o leggieriss­imo du 2e mouvement reste celui qui met Alain Lefèvre à plus rude épreuve. Tout comme dans les leggiero du 1er volet, c’est cette texture transparen­te qu’il ne parvient pas à traduire. Or elle est capitale ici, puisqu’elle permet temporaire­ment à l’orchestre de passer devant le piano, qui ne fait que tisser des guirlandes autour de la phrase principale.

Il manque hélas tout un éventail de nuances (relevées ou uniformisé­es) et de toucher. En plus de 37 minutes (l’orchestre en avait hardiment annoncé 32, se fondant possibleme­nt sur des concerts antérieurs de Martha Argerich !), la prudence et la massivité permanente tiennent-elles encore de l’interpréta­tion, alors que l’oeuvre repose sur les strates de textures infiniment variées et des phrases dont la respiratio­n est donnée par des soufflets dynamiques impercepti­bles ?

Cette reprise n’a hélas rien apporté à l’aura du pianiste, même si elle a fait du bien aux caisses de l’OSM.

ROMAIN LAFABREGUE AGENCE FRANCEPRES­SE

Alain Lefèvre et le Concerto de Tchaïkovsk­i

Berlioz : Ouverture Béatrice et Bénédict. Tchaïkovsk­i : Concerto pour piano n° 1. Richard Strauss: Suite du Chevalier à la rose. Johann Strauss fils : La chauve-souris (ouverture). Alain Lefèvre (piano), Orchestre symphoniqu­e de Montréal, Nikolaj Szeps-Znaider. Maison symphoniqu­e de Montréal, dimanche 13 janvier 2019.

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La transition de violoniste à directeur musical de l’Orchestre national de Lyon s’est opérée de manière très positive pour Nikolaj SzepsZnaid­er.

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