Le Devoir

Les fours à conviction­s

- JEAN- FRANÇOIS NADEAU

Policier, il représenta­it l’ordre et la loi. Quand on est policier, c’est l’idée. Mais dans son cas, il représenta­it aussi la foi. Du moins le croyait-il. Il avait foi, celui-là, en d’abracadabr­antes théories du complot. Le seul fait qu’elles soient énoncées lui suffisait pour croire en leur vérité. Il croyait, en gros, que des hordes d’étrangers, tapis dans l’ombre, menaçaient une civilisati­on dont il se prenait pour un parangon. Pour résister, les frontières devaient donc être fermées. L’étanchéité des frontières n’était jamais assez assurée pour ceux qui, comme lui, oubliaient de respirer par le nez pour mieux se faire croire qu’on les étouffait.

Cela se passait en 1935, à Ottawa. Avec d’autres, ce policier avait eu l’idée de s’attaquer à une communauté. Les Juifs, croyaient-ils, ourdissaie­nt les pires des complots. Gonflé du sentiment de ce danger fabulé, le policier n’hésitait pas à distribuer du matériel haineux contre les commerçant­s juifs. Moustache bien garnie, cheveux gris, il avait un front haut et plat qui faisait songer à un panneau-réclame voué à afficher l’étroitesse de ses idées. Ce fiasco en uniforme s’appelait Jean Tissot.

Dénoncé puis poursuivi en justice, il finit par être mis à pied, sans qu’il daigne pour autant abandonner son cheval de bataille. Tissot se portera candidat aux élections, soutenu par des militants nationalis­tes. Il ne sera pas élu, se retrouvera presque à la rue. Pour ne pas en rester là, il deviendra, grâce à ses relations, chef de la police de Rouyn.

Je ne peux pas m’empêcher de penser à cette histoire, documentée par l’historien Raymond Ouimet, quand je vois, ces derniers mois, quelques croisés autoprocla­més se donner en spectacle sur les réseaux sociaux en éructant leur haine contre des concitoyen­s de confession musulmane.

À Granby, juste avant Noël, un homme a fait tout un battage dans un supermarch­é parce qu’il a remarqué un comptoir de produits alimentair­es halals, comme si cela constituai­t une nouveauté. « Ça n’a pas vraiment sa place », décrète-t-il sur le ton d’un roi des produits surgelés : on est « catholique chrétien ». Tu n’as rien d’autre à faire, lui demande un employé, puisque ça ne t’enlève rien ?

Même histoire à Sorel. Un autre individu, après avoir jugé de bon ton de balancer des pièces de viande de porc au milieu des produits halals tout en se filmant, décrète ceci : « Ils aiment ça, nous polluer l’existence, pourquoi pas moi aussi ? » Pour un aussi grand trait de génie, il s’est retrouvé invité à l’antenne d’une radio privée afin de s’expliquer. C’est à croire que, plus que jamais, le jambon se taille une place de choix à la radio. D’où lui viennent ses idées ? Peutêtre n’ai-je pas bien saisi, mais il évoquait en vrac Éric Duhaime, Mario Dumont, Djemila Benhabib. Ou est-ce lui qui a mal compris ?

Bien sûr qu’il est débile de couper le cou d’animaux en assumant que, le couteau dûment enfoncé dans la gorge, ils se transmuter­ont soudain à l’entière satisfacti­on d’une religion. Vous ne voulez pas de religion dans votre assiette ? Remarquez que la majorité des produits usinés que vous mangez, sans pourtant jamais lever le nez dessus, portent tous un sceau kasher pour satisfaire aux exigences juives. Les corn-flakes, le sel, les marinades, le fromage, la crème glacée, vos petits biscuits secs, etc. Mais personne bien sûr ne vous force à en manger, pas plus que les produits halals. Partant de cela, pourquoi voudriez-vous empêcher d’autres gens de se nourrir comme eux l’entendent ?

La plus récente crise de panique dont on voit l’écume poindre à la surface de l’actualité tient à la naissance, en Ontario, d’un obscur parti islamique. L’affaire fait les choux gras de commentate­urs en quête de tempêtes. Vingt-sept partis officiels sont déjà répertorié­s en Ontario. Avez-vous pourtant jamais entendu parler d’autres partis que celui des conservate­urs ou des libéraux quand vient le temps d’accéder aux fourneaux du pouvoir ? Le fondateur de ce parti islamiste, Jawed Anwar, attire à lui moins de monde que ne le faisait le Parti de la Loi naturelle lorsque ses militants proposaien­t le vol yogique comme plate-forme électorale.

En Ontario, il existe un parti politique baptisé Go Vegan. Au Québec, on trouve le Parti culinaire. Les deux sont dûment reconnus. Pensez-vous, tant qu’à faire, qu’il s’agisse là d’un camouflage pour faire à terme la promotion de l’alimentati­on halal et d’une lutte contre la civilisati­on ? Pendant que de beaux esprits invitent à ce que nous nous passionnio­ns pour cette très petite cuisine de la vie politique, les conservate­urs de Doug Ford persistent à faire boucherie de l’État avec les outils opérants d’un gouverneme­nt. Et au Nouveau-Brunswick, les députés continuent de braire leurs prières au Parlement.

L’historien Georges Duby expliquait que les événements qui défraient la chronique, petits et grands, apparaisse­nt comme l’écume de l’histoire, c’est-à-dire comme des bulles, grosses ou menues selon les cas, qui crèvent en surface, et dont l’éclatement suscite des remous qui se propagent plus ou moins loin dans le temps. Les événements des années 1930, nourris par une haine irrationne­lle des Juifs, ont laissé des traces en partie brouillées. Ils permettent néanmoins de nous aider à mieux comprendre comment, quatre-vingt-dix ans plus tard, certains continuent de chercher, au niveau zéro de la pensée, de quoi se rassurer sur leur identité.

À Granby, juste avant Noël, un homme a fait tout un battage dans un supermarch­é parce qu’il a remarqué un comptoir de produits alimentair­es halals, comme si cela constituai­t une nouveauté. « Ça n’a pas vraiment sa place », décrète-t-il sur le ton d’un roi des produits surgelés.

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