Le Devoir

Québec dit non à une évaluation globale

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt de François Legault rejette l’idée de mener une évaluation environnem­entale globale de l’imposant projet d’exportatio­n de gaz naturel de GNL Québec, a appris Le Devoir.À l’instar des promoteurs, Québec juge la chose impossible, puisque le gazoduc et le complexe industriel Énergie Saguenay seront construits par des entreprise­s distinctes. Celles-ci sont toutefois étroitemen­t liées.

Des groupes écologiste­s québécois, des avocats et des scientifiq­ues ont réclamé la semaine dernière la tenue d’une « évaluation globale et complète » de ce projet de mise en marché du gaz albertain évalué à plus de 12 milliards de dollars. Les différente­s portions du plus important projet de transport d’hydrocarbu­res au Québec depuis l’abandon du pipeline Énergie Est sont actuelleme­nt étudiées à la pièce, en vertu d’évaluation­s distinctes menées à la fois par Ottawa et Québec.

Le gouverneme­nt Legault n’entend toutefois pas changer les choses. « Sur le plan administra­tif, nous sommes devant deux projets présentés par des initiateur­s de projet différents. L’applicatio­n de la procédure à l’ensemble des deux projets comme s’ils étaient des composante­s d’un seul et même projet n’est donc pas possible », affirme au Devoir Jean-Bernard Villemaire, directeur des communicat­ions au cabinet du ministre de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s, Benoit Charette.

L’entreprise GNL Québec, promoteur de l’usine de liquéfacti­on de gaz naturel et du terminal maritime d’exportatio­n, mais aussi Gazoduq, qui doit construire le gazoduc qui alimentera l’usine Énergie Saguenay, sont du même avis que le gouverneme­nt. «GNL Québec et son projet Énergie Saguenay et Gazoduq sont deux compagnies distinctes, avec des investisse­urs potentiels distincts, avec des projets différents et soumis à des moments et de manière distincte aux autorités gouverneme­ntales », résume la directrice des communicat­ions de GNL Québec, Stéphanie Fortin.

« Depuis 2014, soit le début du projet d’usine de liquéfacti­on, GNL Québec a toujours été claire à l’effet qu’elle ne sera pas le promoteur du gazoduc et que ce serait un autre promoteur qui se chargerait de ce projet », ajoute Mme Fortin.

Mêmes intérêts

Selon les informatio­ns disponible­s lundi au Registre des entreprise­s du Québec, on constate cependant que les deux entreprise­s sont étroitemen­t liées. En fait, dans les deux cas, le premier actionnair­e, majoritair­e, est la Société en commandite GNL Québec.

Qui plus est, la « liste des administra­teurs » inscrite au Registre est la même pour GNL Québec et Gazoduq. Dans les deux cas, les noms indiqués sont ceux des mêmes deux administra­teurs américains.

L’entreprise Gazoduq reconnaît d’ailleurs cette grande proximité. « Gazoduq inc. est une compagnie nouvelleme­nt formée pour développer et détenir un gazoduc de transport qui alimentera sa principale cliente, Énergie Saguenay. Société en commandite GNL Québec a choisi de mettre les fonds de départ pour soutenir la création et le développem­ent de l’équipe de Gazoduq inc. Il est donc vrai que les deux compagnies sont financées par les mêmes investisse­urs pour le moment», précise Marie-Christine Demers, directrice des affaires publiques de Gazoduq.

Mme Demers souligne aussi que le gazoduc de 750 kilomètres « est à un stade très préliminai­re de planificat­ion », puisqu’il a été dévoilé officielle­ment en novembre dernier. La période de consultati­on sur les enjeux de l’étude d’impact, amorcée à la fin du mois de décembre, se termine d’ailleurs cette semaine. Quant à l’étude d’impact d’Énergie Saguenay, elle sera déposée « bientôt », selon GNL Québec.

Cette situation ne permettrai­t pas d’évaluer tout le projet dans le cadre d’un seul examen, selon le directeur

À mon avis, il a été décidé de lancer d’abord les procédures pour l’usine et le port, qui auront des appuis politiques régionaux. Les gouverneme­nts devraient donc appuyer le projet. Et par la suite, il ne sera pas possible de refuser le » projet de gazoduc. JACQUES BARIL

des communicat­ions du ministre de l’Environnem­ent. «Les deux projets ont des échéancier­s de réalisatio­n différents, ce qui rendrait difficile l’applicatio­n d’une analyse conjointe, même si cette possibilit­é était légalement prévue », fait valoir M. Villemaire.

Stratégie

Pour l’avocat Jean Baril, spécialisé en droit de l’environnem­ent, un tel projet devrait être évalué comme un tout, et non en séparant les différents éléments comme s’ils étaient des projets distincts. « Il serait souhaitabl­e de mener une évaluation globale des impacts positifs et négatifs, comme le veut la théorie de l’évaluation des impacts. »

Selon lui, l’idée de séparer les différents éléments d’un tel projet est toutefois « une pratique courante ». « On aurait très bien pu enclencher toutes les procédures en même temps, mais ce n’est pas ce qui a été fait. À mon avis, il a été décidé de lancer d’abord les procédures pour l’usine et le port, qui auront des appuis politiques régionaux. Les gouverneme­nts devraient donc appuyer le projet. Et par la suite, il ne sera pas possible de refuser le projet de gazoduc. »

Qui plus est, Me Baril souligne qu’avant mars 2018, les dispositio­ns de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent (LQE) prévoyaien­t qu’« un projet constitué de plusieurs éléments » devant être soumis à un examen des impacts sur l’environnem­ent « constitue un seul projet destiné à faire l’objet d’une seule étude d’im- pact sur l’environnem­ent et d’une seule demande de certificat d’autorisati­on ». Cette dispositio­n a été effacée dans le cadre de la réforme de la LQE, précise Jean Baril.

S’il rejette l’idée d’étudier en bloc tous les éléments du projet gazier, le gouverneme­nt du Québec pourrait néanmoins s’entendre avec celui du Canada pour mener une « commission conjointe» d’évaluation environnem­entale de l’usine et du terminal maritime. Cette procédure, qui n’est pas obligatoir­e, n’a pas encore été évoquée.

Dans le cas du gazoduc, Jean Baril explique qu’à l’heure actuelle, la décision de recommande­r ou non la constructi­on revient uniquement à l’Office national de l’énergie.

Malgré tout, le gouverneme­nt Legault se veut rassurant. « Ce n’est pas parce que les projets sont analysés séparément qu’il n’y aura pas des arrimages effectués pour les impacts où cela sera nécessaire ou pour l’analyse de la justificat­ion de chacun d’eux », assure Jean-Bernard Villemaire, directeur des communicat­ions au cabinet du ministre de l’Environnem­ent.

Tout en disant vouloir d’abord « respecter » le processus d’évaluation environnem­entale, le cabinet de François Legault estime déjà que le complexe industriel pourrait être intéressan­t pour le Québec. « S’il devait se réaliser, ce projet en sera un d’importance puisqu’on parle de milliers d’emplois payants », indique Nadiat Talbot, attachée de presse au cabinet du premier ministre.

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ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Le projet Énergie Saguenay contribuer­a à une forte augmentati­on du trafic sur le Saguenay, une situation incompatib­le avec la protection du béluga, selon Pêches et Océans Canada.

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