Le Devoir

Le Québec a un ministre de plus à Ottawa

Jody Wilson-Raybould perd la Justice au profit de David Lametti

- HÉLÈNE BUZZETTI MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTES PARLEMENTA­IRES À OTTAWA

Le jeu de chaises musicales rendu nécessaire par le départ de Scott Brison du cabinet de Justin Trudeau a fait une grande perdante lundi : Jody Wilson-Raybould a dû céder son prestigieu­x poste de ministre de la Justice pour prendre celui des Anciens Combattant­s. Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres. C’est le Montréalai­s David Lametti qui la remplace, augmentant par conséquent la présentati­on québécoise au sein de l’équipe libérale à neuf mois de l’élection.

Mme Wilson-Raybould, une ancienne chef autochtone de Colombie-Britanniqu­e, était ministre de la Justice depuis 2015.

Mais elle n’a pas fait tout ce qui était attendu d’elle, et le mécontente­ment se faisait entendre en coulisses. Plusieurs de ses projets de loi ont mis du temps à aboutir. Surtout, Mme Wilson-Raybould n’a pas fait la réforme qui lui avait été demandée, soit celle des peines minimales instaurées par les conservate­urs et qui sont en partie responsabl­es des longs délais dans le système de justice. En entrevue avec Le Devoir en décembre, le premier ministre Trudeau avait admis que cette promesse ne serait pas réalisée dans le présent mandat.

La principale intéressée s’est aussi vigoureuse­ment défendue, arguant qu’elle a déposé 13 projets de loi — allant de l’aide médicale à mourir à la conduite avec facultés affaiblies —, réformé le système judiciaire et nommé pas moins de 250 juges. « J’ai nommé plus de juges que n’importe quel ministre de la Justice des deux dernières décennies. » À un journalist­e qui lui a fait remarquer qu’elle se rendait rarement disponible pour parler aux médias, elle a rétorqué, piquée : « Vous ne m’avez pas beaucoup vue parce que j’ai été incroyable­ment occupée avec mon rôle précédent. »

À l’inverse, David Lametti cachait mal son bonheur d’enfin accéder au cabinet. Dans les coulisses, on dit que cet ancien professeur de droit à l’Université McGill et ex-auxiliaire judiciaire du juge Peter Cory à la Cour suprême faisait la moue d’avoir été écarté de l’équipe ministérie­lle jusqu’à présent. Il entre au cabinet par la grande porte.

Il pense jouer un rôle important au Québec en cette année électorale. Le Parti libéral du Canada détient déjà 40 sièges au Québec, mais il espère y faire des gains avec les tumultes vécus au Bloc québécois (10 sièges) et le taux d’appui en baisse du NPD (15 sièges). L’arrivée de M. Lametti porte à neuf le nombre de Québécois au cabinet, en comptant le premier ministre.

M. Trudeau a vanté « l’intelligen­ce juridique démontrée » de M. Lametti. Lors du débat sur la nomination d’un nouveau juge en chef à la Cour suprême, contrairem­ent à d’autres élus libéraux du Québec, M. Lametti n’avait pas milité pour une alternance à tout prix entre un Québécois et un nonQuébéco­is.

En tant que ministre de la Justice, M. Lametti aura notamment à se pencher sur l’actualisat­ion de la Loi sur l’aide médicale à mourir, afin de déterminer si celle-ci devrait être élargie. M. Lametti avait voté contre le projet de loi du gouverneme­nt en juin 2016, le jugeant trop restrictif parce que limitant la procédure aux personnes en fin de vie.

La contestati­on de ce dossier devant la Cour supérieure du Québec a d’ailleurs joué dans le choix de nommer un Québécois à la Justice, tout comme l’intention du gouverneme­nt caquiste à Québec d’interdire les signes religieux et de se pencher sur le processus pénal entourant les plaintes d’agressions sexuelles. « C’est des occasions de communicat­ion manquées pour nous, si on n’a personne qui le fait en français», explique-t-on chez les libéraux.

Une réponse au populisme ?

Jody Wilson-Raybould remplacera aux Anciens Combattant­s Seamus O’Regan, qui monte en grade aux Services aux Autochtone­s, laissés par Mme Philpott, partie au Conseil du Trésor.

La relation du fédéral avec les communauté­s autochtone­s demeure délicate, comme en ont témoigné les manifestat­ions contre un projet de gazoduc la semaine dernière. M. Trudeau s’est néanmoins dit assuré que son ami Seamus O’Regan saurait répondre aux attentes, comme il l’a fait aux Anciens Combattant­s. Le premier ministre a en outre souligné la « compassion » de son ministre et sa « connexion » avec les communauté­s autochtone­s, qu’il a côtoyées pendant sa jeunesse au Labrador.

La ministre Wilson-Raybould, la seule Autochtone à la table du cabinet, a par contre pris soin de souligner qu’il restait beaucoup à faire en la matière. « Bien que notre gouverneme­nt ait pris des mesures importante­s, et qu’on continue à travailler fort, le changement de paradigme nécessaire n’est pas encore survenu », a-t-elle déploré dans un communiqué diffusé à la suite du remaniemen­t — geste rare en soi.

M. Trudeau crée par ailleurs un nouveau poste, celui du Développem­ent économique rural, qu’il confie à une nouvelle venue au cabinet, Bernadette Jordan. Mme Jordan étant députée de Nouvelle-Écosse, cela permet de maintenir à la table du cabinet la représenta­tion de cette province, dont provenait Scott Brison. En coulisses, on explique que l’objectif de ce nouveau ministère sera d’éviter que les régions se sentent déconnecté­es du gouverneme­nt à Ottawa. Une stratégie, là aussi, toute préélector­ale.

 ?? SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE ?? Le premier ministre Justin Trudeau a accueilli chaleureus­ement son nouveau ministre de la Justice, David Lametti, qui succède à Jody Wilson-Raybould.
SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Justin Trudeau a accueilli chaleureus­ement son nouveau ministre de la Justice, David Lametti, qui succède à Jody Wilson-Raybould.

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