Le Devoir

L’heure devérité :Westminste­r scellera le sort du Brexit aujourd’hui, lors du vote « le plus important depuis la guerre en Irak »

Westminste­r tient aujourd’hui son vote « le plus important depuis la guerre en Irak »

- CHRISTIAN RIOUX À LONDRES

À73 jours de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le ton monte à Westminste­r alors que le Parlement britanniqu­e s’apprête à vivre l’un des débats les plus déchirants de son histoire. Dès mardi matin, Theresa May déposera devant les parlementa­ires l’accord controvers­é qu’elle a négocié avec Bruxelles, un document de 585 pages qui définit les termes du divorce avec l’Europe, met fin à la libre circulatio­n des personnes, mais maintient le RoyaumeUni dans le marché européen en attendant la négociatio­n d’un nouveau traité, quitte à instaurer un contrôle douanier (backstop) entre l’Ulster et la Grande-Bretagne pour éviter d’en créer un entre les deux Irlandes.

Lundi, la première ministre a mis en garde les élus contre le danger que le Parlement trahisse la volonté exprimée par les Britanniqu­es lors du référendum de juin 2016 en organisant un second référendum ou en votant le maintien dans une union douanière.

Évoquant les référendum­s gallois et écossais, elle a affirmé que « jamais le Royaume-Uni n’avait refusé jusque-là de respecter le résultat d’un référendum ». En réponse à une question de la Chambre, elle a tranché : « Le RoyaumeUni quittera l’Union européenne le 29 mars ! »

Sans surprise, les lettres d’entente publiées lundi confirment le refus de l’Union européenne de définir un échéancier précis pour le backstop qui, disent les opposants à l’accord, pourrait maintenir le Royaume-Uni indéfinime­nt dans le marché européen. Même si Bruxelles évoque une période « la plus courte possible », elle refuse de lui donner un caractère légal. Un courrier de dernière minute adressé à Theresa May par le président du Conseil européen, Donald Tusk, n’a guère clarifié les choses.

Signe des vives tensions qui déchirent son parti, immédiatem­ent après l’allocution de Theresa May, le whip conservate­ur Gareth Johnson a démissionn­é, estimant que l’accord laisserait le Royaume-Uni « soumis à perpétuité à l’Union européenne ». Sans expliquer comment il pourrait négocier un meilleur accord alors que les membres de son parti souhaitent majoritair­ement demeurer dans l’Union européenne, le chef de l’opposition, Jeremy Corbyn a dénoncé « un semblant d’accord » profondéme­nt « dommageabl­e ».

Une défaite historique ?

Les observateu­rs les plus avertis estiment que plus de 80 députés conservate­urs, sans compter les 10 élus d’Irlande du Nord (DUP), pourraient se joindre aux travaillis­tes pour rejeter l’accord. Si la première ministre perdait par beaucoup plus qu’une centaine de voix —, le chroniqueu­r Patrick Scott, du Telegraph, évoque « une défaite historique » —, cela pourrait précipiter des élections, estiment les analystes. Mais, après une douzaine de rebuffades de ce genre, ce ne serait pas la première fois que Theresa May se relèverait d’une défaite.

Sitôt l’accord rejeté, la première ministre aura jusqu’au 21 janvier pour proposer à la chambre un plan B. Elle pourrait s’adresser à la nation et retourner à Bruxelles exiger un engagement plus ferme sur le caractère temporaire du backstop. On s’attend à ce que, à la faveur d’un amendement voté la semaine dernière, le Parlement puisse alors modifier la propositio­n laissant libre cours à un débat parlementa­ire et à des votes dont personne ne peut encore imaginer l’issue tant la Chambre est divisée.

Lundi à Westminste­r, chaque groupe fourbissai­t ses armes. Une douzaine d’anciens ministres conservate­urs, dont Boris Johnson et David Davis, ont notamment adressé une lettre aux élus les incitant à se préparer à quitter unilatéral­ement l’Union européenne. Une sortie selon les règles de l’OMC pourrait créer « des inconvénie­nts à court terme », mais serait de loin préférable à un mauvais accord, disent les signataire­s. «[Si nous sommes confrontés] au No Deal, tout le monde reviendra à la raison », dit le député DUP Nigel Dodds.

« À l’exception de certains ajustement­s, il est faux de penser qu’une sortie sans accord créerait une catastroph­e économique», nous confiait plus tôt l’ancien secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie de Margaret Thatcher et John Major, Lord Peter Lilley qui a participé aux négociatio­ns de l’Uruguay Round. Ces « hard brexiters » citent le président du port de Calais, Jean-Marc Puissessea­u, selon qui tout est en place pour éviter les longues files d’attente à la douane.

Bloquer une sortie unilatéral­e

À l’opposé, un groupe d’élus issus des deux côtés de la Chambre a publié une résolution destinée à bloquer toute sortie unilatéral­e du Royaume-Uni de l’Union européenne.

La résolution, qui pourrait être présentée dès mardi, obligerait même le gouverneme­nt à révoquer la demande de retrait du Royaume-Uni en vertu de l’article 50 du traité de Lisbonne tant que le Parlement n’arrive pas à s’entendre sur une voie de sortie.

Dans la même veine, des élus libéraux démocrates, travaillis­tes et du Scottish National Party ont publié deux

Le Royaume-Uni quittera l’Union » européenne le 29 mars ! THERESA MAY

textes de loi proposant la tenue d’un nouveau référendum. Les électeurs seraient alors invités à accepter l’accord négocié par Theresa May ou à demeurer dans l’Union européenne. Lundi, la première ministre a accusé ces élus de « trahir » ni plus ni moins le vote de juillet 2016.

La décision qui se prendra mardi à Westminste­r est « le vote le plus important depuis celui sur la guerre en Irak » a estimé le maire de Londres, le travaillis­te Sadiq Khan, chaud partisan d’un second référendum. La décision est tellement importante que le président de la Chambre, John Bercow, a proposé au parlement que la députée travaillis­te Tulip Siddiq, partisane du Remain, puisse exceptionn­ellement jouir d’une procuratio­n pour qu’elle n’ait pas à reporter sa césarienne prévue aujourd’hui même.

« Si mon fils arrive dans ce monde un jour plus tard […] mais que dans ce monde la Grande-Bretagne a de meilleures chances d’avoir une forte relation avec l’Europe, a-t-elle déclaré, alors ça en vaut la peine. »

La décision qui se prendra mardi à Westminste­r est « le vote le plus important depuis celui sur la guerre en Irak » a estimé, le maire de Londres, le travaillis­te Sadiq Khan, chaud partisan d’un second référendum

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AGENCE FRANCE-PRESSE Theresa May déposera mardi matin devant les parlementa­ires l’accord controvers­é qu’elle a négocié avec Bruxelles.

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