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Le départ du président du Conseil du Trésor, Scott Brison, ne laissait pas le choix à Justin Trudeau. Il devait remplacer cette personne de confiance par une autre tout aussi solide. Le choix de Jane Philpott allait pratiquement de soi. Personne n’avait toutefois prédit la rétrogradation de la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, au poste de ministre des Anciens Combattants, mais cette décision ne surprend qu’à moitié étant donné certaines réformes en suspens en matière de justice.
Lors de son élection en 2015, le gouvernement Trudeau se voulait ambitieux. Dans la lettre de mandat à la ministre de la Justice, le premier ministre ne lui demandait rien de moins que de « réviser les changements apportés depuis dix ans » par les conservateurs au système de justice pénale, de donner suite à l’arrêt de la Cour suprême sur l’aide médicale à mourir, de procéder à la légalisation de la marijuana, de réformer le processus de nomination des juges et j’en passe.
La tâche était lourde, et Mme Wilson-Raybould n’a pas chômé. Elle a d’ailleurs défendu son bilan à sa sortie de Rideau Hall : 13 projets de loi, dont certains très costauds, nouveau processus plus transparent et accessible de nomination des juges, diversification de la magistrature, directives publiques concernant la Charte des droits et libertés et la conduite des litiges avec les peuples autochtones.
Elle oublie de dire que seulement 6 de ses 13 projets de loi ont été adoptés et que 4 des 7 restants ont traîné au feuilleton entre 12 et 18 mois sans même une seconde de débat. On les a rescapés en les insérant en mars dernier dans le projet de loi C-75 réformant le Code criminel et le système judiciaire. L’adoption de ce projet avant les élections, comme celui sur le divorce et les ordonnances familiales, n’est pas chose faite. C-75 doit encore franchir l’étape du Sénat avant la fin juin.
Et s’il a été généralement bien reçu, C-75 a tant tardé que la Cour suprême a eu le temps d’invalider une mesure conservatrice — les suramendes compensatoires obligatoires — avant que le projet ne puisse le faire. C-75 a aussi déçu, car il ne fait rien pour mettre fin aux effets pervers des peines minimales obligatoires.
À sa sortie de Rideau Hall, Justin Trudeau a évidemment refusé de critiquer sa ministre, mais si son travail était aussi exceptionnel qu’il le dit, il ne l’aurait pas mutée. Personne n’enlève à Mme Wilson-Raybould le mérite de ses réalisations, mais plusieurs sont assorties de bémols. La nomination des juges, par exemple. Le temps pris par Mme Wilson-Raybould pour pourvoir les postes vacants a alimenté les délais judiciaires dans certaines régions, un problème déjà grave qu’accentuent aussi les peines minimales.
Le premier reproche fait à la ministre est d’ailleurs cette lenteur à passer aux actes et à aboutir. Cela a eu des conséquences fâcheuses, y compris pour son gouvernement, qui sera incapable d’affronter l’électorat en octobre avec dans sa besace sa promesse phare de réforme des peines minimales. M. Trudeau l’a d’ailleurs reconnu en entrevue au Devoir en décembre.
Le Québécois David Lametti prend le relais de Mme Wilson-Raybould à la tête du ministère de la Justice. Juriste respecté, il manquera cependant de temps pour vraiment corriger le tir. Il doit par conséquent choisir ses batailles, ce qui veut dire faire de l’adoption de C-75 une priorité afin que soit réformé ce qui peut l’être. Il devra aussi démontrer que, si les Canadiens lui en donnent la chance, il fera tout pour parachever rapidement les changements promis et qu’il n’attendra pas que les juges fassent le travail à sa place. Cela vaut aussi pour corriger les lacunes de la Loi sur l’aide médicale à mourir déjà évoquées dans nos pages.