Le Devoir

Et les autres ?

S’ils se réjouissen­t de l’accueil canadien fait à une jeune réfugiée saoudienne, des groupes demandent un meilleur traitement pour les demandeurs d’asile « ordinaires »

- JESSICA NADEAU Avec Marie Vastel

Sans critiquer le programme de protection d’urgence qui a permis à la jeune Saoudienne Rahaf Mohammed al-Qunun de trouver rapidement refuge au Canada, les organismes d’aide aux réfugiés demandent à Ottawa d’investir des ressources supplément­aires pour traiter plus rapidement les dizaines de milliers de demandes d’asile qui s’accumulent depuis des années sur les bureaux des fonctionna­ires.

En ce moment, les délais normaux pour obtenir une audience pour un demandeur d’asile sont d’environ deux ou trois ans, un délai « beaucoup trop long » selon Paul Clarke, directeur d’Action Réfugiés Montréal. « Je suis content que le Canada puisse accueillir quelqu’un qui a besoin de protection urgente, affirme-t-il. Mais si le Canada veut se donner cette image, il faut qu’il mette les ressources nécessaire­s à tous les niveaux, tant pour ceux qui font des demandes d’asile à l’interne que pour ceux qui sont en attente de parrainage. Il y a des besoins urgents partout, et il faut offrir une protection plus rapide pour tout le monde. »

Alors qu’on lui demandait pourquoi cette jeune Saoudienne avait obtenu un traitement plus rapide, le premier ministre Justin Trudeau a répondu avoir travaillé en collaborat­ion avec le Haut-commissari­at aux réfugiés (HCR) des Nations unies. « Nous savons que c’est un cas un peu exceptionn­el, mais le Canada sera toujours là pour aider les gens en situation de difficulté », a soutenu Justin Trudeau.

Rahaf Mohammed al-Qunun a pu bénéficier d’un programme de protection urgente, qui permet d’agir très rapidement dans certains cas précis où l’on craint pour la vie d’une personne, confirme Jean-Nicolas Beuze, représenta­nt du Canada pour le HCR.

Dans ce cas précis, c’est le HCR qui a rencontré la jeune femme en Thaïlande et qui a contacté différents pays partenaire­s. Le Canada a répondu positiveme­nt. « Ce n’est pas exceptionn­el, mais ce sont des cas qui sont assez rares, précise M. Beuze. On parle d’entre 100 et 200 personnes qui peuvent arriver dans ces conditions. »

Rahaf Mohammed al-Qunun a obtenu son statut de réfugiée par le HCR et n’aura pas à repasser à travers tout le processus au Canada, ajoute M. Beuze. « Ce n’est pas la situation des demandeurs d’asile qui arrivent par le chemin Roxham. Le Canada compte sur le HCR pour avoir fait le travail. Rahaf va être résidente permanente et pourra devenir citoyenne canadienne. »

Mais la médiatisat­ion de ce cas met de la pression sur le Canada, qui n’arrive pas à traiter ses demandes ordinaires dans des délais raisonnabl­es, constate Janet Dench du Conseil canadien pour les réfugiés. « Certains cas doivent être traités de façon prioritair­e, et c’est encouragea­nt de voir que le Canada a répondu rapidement. On n’a pas de problème à ce qu’il y ait deux volets, mais les longs délais de traitement pour les cas ordinaires, c’est quelque chose qui suscite énormément de préoccupat­ions. »

À la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugiés, on avait en juin dernier près de 64 000 demandes en attente de traitement. Cet important arriéré a été provoqué notamment par une augmentati­on de 82 % des demandes d’asiles déposées entre juin 2017 et juin 2018. Au printemps 2017, une équipe spéciale avait été créée avec « le mandat d’éliminer dans un délai de deux ans le reste des cas ayant été déférés avant 2012 ». En juin 2018, 63 % des cas datant d’avant 2012 avaient été réglés.

Il y a quelques jours, La Presse canadienne révélait que la Commission avait demandé au gouverneme­nt fédéral quatre fois plus d’argent que ce qui lui a été accordé pour venir à bout de cet arriéré. Un budget spécial de 74 millions sur deux ans a été accordé à la commission, alors que celle-ci estimait qu’il lui faudrait 140 millions par année.

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