Le Devoir

Un signal clair

- MICHEL DAVID

Le Devoir publiait lundi la lettre d’un de ses lecteurs, Yves Chartrand, qui se dit un ardent défenseur du français et un indépendan­tiste inconditio­nnel, mais selon qui imposer l’affichage français à l’hôpital de Lachute vise à « effacer l’histoire au nom d’une pureté retrouvée et à faire de simples citoyens des boucs émissaires de notre frustratio­n linguistiq­ue ». Selon le préfet de la MRC d’Argenteuil, Scott Pearce, il ne s’agit pas d’un débat sur la langue, mais plutôt sur les « valeurs ». La décision de l’Office québécois de la langue française (OQLF) ne correspond pas à « nos valeurs comme région », a-t-il expliqué.

Il est vrai que Lachute n’est pas l’endroit où se joue l’avenir linguistiq­ue du Québec, mais la Charte de la langue française, qui prévoit déjà de nombreuses exceptions, ne peut pas s’appliquer en fonction d’une prétendue géométrie des valeurs régionales. Il est désolant qu’on présente continuell­ement la question linguistiq­ue comme un problème strictemen­t montréalai­s dont le reste du Québec n’a pas à faire les frais.

Il va de soi que la communauté anglophone d’Argenteuil, comme celles de toutes les régions du Québec, a droit au respect. C’est précisémen­t la raison pour laquelle il est possible d’être soigné en anglais, même dans les établissem­ents qui ne bénéficien­t pas légalement d’un statut bilingue. La nouvelle signalisat­ion à l’hôpital de Lachute n’y changera strictemen­t rien.

La ministre responsabl­e de la Charte de la langue française, Nathalie Roy, s’étant clairement engagée à la faire appliquer, M. Legault ne pouvait pas reculer à la première occasion sans perdre toute crédibilit­é, même si les élus locaux auraient souhaité que son gouverneme­nt continue à fermer les yeux sur cette irrégulari­té.

Selon une porte-parole du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentide­s, le bilinguism­e a été introduit « de bonne foi » à l’hôpital de Lachute sous une autre administra­tion, il y a déjà plus d’une dizaine d’années.

Elle aurait pu ajouter : sous un autre gouverneme­nt. Pendant quinze ans, le message que les libéraux ont envoyé aux dirigeants du secteur public et à l’ensemble de la société québécoise en a été un de laisser-faire. Le français se portant à merveille, il fallait faire preuve d’ouverture.

Même si l’hôpital de Lachute avait été avisé il y a trois ans qu’il contrevena­it à la loi, l’OQLF avait fait preuve de « flexibilit­é » en raison des impacts financiers du changement des affiches, a expliqué la porte-parole du CISSS. Ce problème n’en est apparemmen­t plus un.

Chat échaudé craint l’eau froide. Il est facile de reprocher une trop grande indulgence aux fonctionna­ires de l’OQLF, mais ils ont appris à leurs dépens que les excès de zèle sont encore plus risqués.

À la suite du malheureux incident du « pastagate », en 2013, la ministre responsabl­e du dossier linguistiq­ue dans le gouverneme­nt de Pauline Marois, Diane De Courcy, avait rappelé l’OQLF à l’ordre. Alors candidat à la chefferie du PLQ, Raymond Bachand avait proposé de « retirer de la rue les inspecteur­s zélés sans jugement ». De toute évidence, le changement de gouverneme­nt a eu l’effet d’un signal. Si la loi 101 doit être appliquée à la lettre dans un endroit où le français est aussi peu menacé que Lachute, le gouverneme­nt Legault s’attend manifestem­ent à ce qu’elle le soit à plus forte raison là où la situation est plus problémati­que.

Il reste à voir dans quelle mesure le message sera compris dans les divers secteurs de l’administra­tion publique, où s’est installée la fâcheuse habitude de s’adresser en anglais à ceux qui le désirent. C’est au gouverneme­nt de s’en assurer.

Cela constituer­ait une petite révolution. Après s’être opposé à son adoption avec la dernière énergie, le PLQ s’est résigné à vivre avec la loi 101, mais en s’efforçant continuell­ement d’en limiter les effets.

Au fil des ans, le PQ est devenu de plus en plus sensible aux accusation­s d’intoléranc­e et s’est toujours refusé à appliquer la loi avec plus de rigueur. De toute manière, il était convaincu que seule l’indépendan­ce pourrait assurer définitive­ment la protection du français.

Pour se faire élire, François Legault a accepté de faire une profession de foi dans le Canada, mais il s’est également engagé à protéger l’identité québécoise, dont la langue française est la pierre d’assise. Ce faisant, il s’est placé dans l’obligation de démontrer que cela n’est pas incompatib­le.

Malgré sa déception, le préfet de la MRC d’Argenteuil a dit très bien comprendre la position de M. Legault. « Je pense que rouvrir le débat linguistiq­ue aujourd’hui ne sert personne », at-il déclaré.

Les plus grands perdants pourraient d’ailleurs être les anglophone­s eux-mêmes. Ce n’est pas parce que les Québécois semblent avoir tourné le dos à la souveraine­té qu’ils ont également renoncé à vivre en français.

Chat échaudé craint l’eau froide. Il est facile de reprocher une trop grande indulgence aux fonctionna­ires de l’OQLF, mais ils ont appris à leurs dépens que les excès de zèle sont encore plus risqués.

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