Le Devoir

Impair diplomatiq­ue de Trudeau ?

Le premier ministre commente la peine de mort imposée par un tribunal chinois à un ressortiss­ant canadien jugé coupable de trafic de drogue

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA Avec Marie Vastel

Justin Trudeau a probableme­nt commis un impair diplomatiq­ue en qualifiant d’« arbitraire » le recours par la Chine à la peine de mort pour punir un ressortiss­ant canadien reconnu coupable de trafic de stupéfiant­s. La peine absolue pour ce type de crimes est fréquente, rappellent les spécialist­es.

Lundi matin, Justin Trudeau a dit trouver « très inquiétant que la Chine commence à agir de façon arbitraire pour appliquer la peine de mort, surtout à un Canadien».

Le Canadien Robert Schellenbe­rg, 36 ans, avait été condamné en 2018 à 15 ans de prison pour trafic de drogue, mais il a porté sa cause en appel et a vu sa peine alourdie lundi.

Les spécialist­es mettent en garde contre la tentation d’y voir une nouvelle mesure de représaill­es de la part de la Chine contre le Canada pour l’arrestatio­n de Meng Wanzhou, une dirigeante du géant des télécommun­ications Huawei dont l’extraditio­n est réclamée par les États-Unis. La Chine a déjà arrêté deux Canadiens, Michael Spavor et Michael Kovring, en guise de réplique.

« Il n’y a rien d’inusité », pense Patrice Dallaire, diplomate en résidence aux Hautes études internatio­nales de l’Université Laval. M. Dallaire a été en poste à Beijing plusieurs années, notamment à titre de représenta­nt du Québec.

« La Chine applique la peine de mort à des milliers de ses citoyens chaque année, et parfois à des étrangers. Il n’y a rien de nouveau. Le procès a été mené dans un cadre normal pour la Chine. Pour nous, ça peut sembler expéditif, une journée, mais c’est dans l’ordre des choses. Souvent, les procès sont une question d’heures. »

Peine de mort

Irvin Studin, chercheur rattaché à la Chaire Raoul-Dandurand, fait la même analyse. « Les peines de mort pour les crimes de drogue sont assez typiques en Asie », rappelle-t-il. La Chine a notamment exécuté un Britanniqu­e pour des crimes reliés à la drogue en 2009, quatre Japonais en 2010, un Philippin en 2013 et quatre Sud-Coréens depuis 2014.

« Il ne faut pas forcément voir des conspirati­ons dans chaque événement impliquant un Canadien. La Chine est énorme, il y a beaucoup de Canadiens qui y font des affaires, qui y habitent, et il y a des arrestatio­ns assez quotidienn­ement. »

M. Dallaire croit que M. Trudeau a fait une erreur. « Je ne pense pas que le mot arbitraire soit le bon mot […]. Le choix de mot est erroné, et ça ne va pas aider » la cause du Canada auprès de la Chine ces jours-ci, pense-t-il. Il note qu’en ajoutant le « surtout à un Canadien », M. Trudeau renforce l’impression des autorités chinoises que le Canada réclame un traitement de faveur pour ses ressortiss­ants.

Le Canada réclamera, comme cela est sa politique, la clémence pour son citoyen, soit la transforma­tion de sa peine en peine d’emprisonne­ment. Si cette demande devait être acceptée, alors M. Schellenbe­rg pourrait demander au Canada de solliciter son rapatrieme­nt. Dans les coulisses, on ne s’inquiète pas outre mesure d’empirer la relation diplomatiq­ue avec les Chinois.

«Tout ce qu’on dit à ce stade-ci risque d’envenimer les choses, mais on ne s’empêchera pas de le dire parce que c’est la vérité. »

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