L’aide à mourir réclamée pour certains patients atteints de troubles mentaux
Des chercheurs jugent que les patients souffrant de troubles mentaux intolérables devraient avoir accès à l’aide médicale à mourir (AMM), au même titre que ceux souffrant de maux physiques.
Dans un article à paraître dans la revue française Annales médico-psychologiques, ces chercheurs concluent que, sous certaines conditions seulement, l’AMM devrait pouvoir être offerte au Canada aux demandeurs dont la maladie mentale est réfractaire à tout traitement, comme c’est le cas au Luxembourg, en Suisse, aux Pays-Bas et en Belgique.
« Est-il éthique d’entretenir l’espoir […] en l’émergence d’un traitement [… ], alors que ni le pronostic ni l’état de la recherche médicale ne laisse présager rien de tel ? » font valoir Serge Larivée, professeur de psychoéducation et d’éthique, et Gabrielle Provencher-Renaud, tous deux de l’Université de Montréal, et Carole Sénéchal, professeure à l’Université d’Ottawa.
Selon eux, la maladie mentale n’exclut pas d’emblée l’aptitude à consentir. « Dans certains cas, il est possible de considérer un suicide comme un acte rationnel, si la personne a une évaluation réaliste de sa situation », affirme le professeur Larivée, rappelant que des patients vivant des impasses thérapeutiques finissent par se suicider.
«On ne pense pas que les gens dépressifs doivent avoir accès à l’AMM sur demande. Mais pour ceux dont la condition est sans issue, être poussé au suicide est bien pire pour eux et leur famille », estime M. Larivée.
La pratique
Les lois actuelles encadrant l’AMM excluent les personnes atteintes de troubles mentaux en pratique, puisque leur mort (sauf exception) n’est pas « raisonnablement prévisible ». Mais comme ce critère est contesté devant les tribunaux, il n’est pas impossible qu’à l’avenir de tels cas se présentent, si la cour invalidait cette partie de la loi.
L’imposition d’un délai d’un mois pour évaluer la demande (comme en Belgique), l’ajout d’un examen psychiatrique approfondi et l’implication des proches dans le processus devraient accompagner ce type de demandes, ajoutent les chercheurs. Selon le professeur Larivée, il faut plusieurs années pour conclure au caractère « réfractaire » d’un trouble mental.
Dans les pays où l’AMM n’est pas limitée aux patients en « fin de vie », les cas liés aux troubles mentaux sont marginaux. Aux Pays-Bas, en 2013, 42 cas ont été recensés sur 4829 demandes. En Belgique, sur 100 demandes concernant des troubles mentaux, 52 ont été refusées, révèle une étude. Quatre des demandeurs déboutés se sont ensuite suicidés. Parmi les
On ne pense pas que les gens dépressifs doivent avoir accès à l’AMM sur demande. Mais pour ceux dont la condition est sans issue, être poussé au suicide est bien pire » pour eux et leur famille. SERGE LARIVÉE
48 demandeurs ayant reçu une réponse positive, 72 % ont bénéficié de l’AMM, 23 % ont reporté ou retiré leur décision et deux se sont suicidés avant d’y avoir accès.
Aucun consensus scientifique
Le D r Mona Gupta, chercheuse au Centre de recherche du CHUM et membre du comité qui a remis en décembre 2018 au gouvernement Trudeau un rapport exhaustif sur l’AMM et les troubles mentaux, affirme qu’il n’existe aucun consensus scientifique sur ce sujet. « Les rares études empiriques ne règlent pas la question, car personne ne s’entend sur la façon de les analyser », dit-elle.
Aux Pays-Bas et en Belgique, des patients souffrant de psychose, de schizophrénie, d’anorexie ou de dépression ont eu accès à l’AMM. En Belgique, ces cas concernent deux fois plus de femmes que d’hommes. « Certains jugent que l’accès à cette option aide certains patients à mieux supporter leur maladie. D’autres, que ça envoie un message contradictoire aux personnes suicidaires », affirme le Dr Gupta. À son avis, les élus ne pourront éviter ce débat de société, puisque le critère des souffrances constantes et insupportables, au coeur de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Carter, prêche en faveur d’une inclusion, peu importe la maladie. Mais à l’heure actuelle, dit-elle, l’obligation d’être en « fin de vie » rend cette question purement théorique.