Le Devoir

Deux neutralité­s, une seule laïcité

- Daniel Baril Conseiller au Mouvement laïque québécois

Dans une libre opinion du Devoir du 11 janvier, Robert Howe affirmait qu’il est « bien réducteur de ne regarder que la laïcité » et proposait plutôt d’aborder «la réflexion au niveau du principe de la neutralité ». Il faut lui accorder entièremen­t raison lorsqu’il soutient que « les employés de l’État en position d’autorité doivent être neutres » et que « cela inclut les enseignant­s qui, eux, ont une autorité morale sur les élèves et sur leurs parents ».

Le développem­ent que fait M. Howe de cette exigence de neutralité pour ces employés est correct. Aux exemples qu’il donne, il faut ajouter celui du programme Éthique et culture religieuse (ECR), qui exige des enseignant­s une attitude de neutralité envers les religions. Or, comment être religieuse­ment neutre si on autorise en même temps le port de signes religieux ostentatoi­res par les enseignant­s ?

Là où le texte de M. Howe pose problème, c’est lorsqu’il oppose laïcité et neutralité sans donner aucune définition de l’une ni de l’autre. Il ajoute ainsi à la confusion qui règne dans ce débat.

Une définition consensuel­le de la laïcité est donnée par le rapport Bouchard (cessons de parler du rapport Bouchard-Taylor puisque Charles Taylor a renié sa signature) et comporte quatre principes : protection de l’égalité des personnes ; protection de la liberté de conscience et de la liberté de religion ; séparation des religions et de l’État; neutralité de l’État face aux religions. La neutralité est donc l’une des composante­s de la laïcité et ne saurait y être opposée.

Ce même rapport définit la neutralité religieuse comme une « philosophi­e politique qui interdit à l’État de prendre parti en faveur d’une religion ou d’une vision du monde aux dépens d’une autre ». La dernière partie de la définition — « aux dépens d’une autre » — est essentiell­e et signifie qu’un État peut afficher un parti pris favorable aux religions à condition de n’en exclure ou de n’en privilégie­r aucune. La neutralité ainsi définie et prise isolément des autres composante­s de la laïcité est en fait une « neutralité complaisan­te » à l’égard des religions.

Il s’agit donc d’un oxymore puisque la complaisan­ce est un acte qui vise à ne pas déplaire. Chercher à ne pas déplaire, ce n’est pas être neutre; c’est faire preuve d’un préjugé favorable. La neutralité complaisan­te est celle du sécularism­e anglo-saxon qui prévaut notamment au Canada anglais, aux États-Unis et en Angleterre. Cette pseudo-neutralité est celle d’un État qui n’a pas de religion officielle, mais qui conserve des liens privilégié­s avec les religions en leur accordant des passedroit­s.

Aux États-Unis, la Constituti­on interdit d’établir une religion d’État, mais n’interdit pas d’établir des relations privilégié­es avec les religions. Au Parlement de l’Ontario, les députés récitent par alternance pas moins de huit prières de diverses confession­s en prétendant ainsi être « neutres ». C’est au nom de ce principe que l’on voit le premier ministre canadien, Justin Trudeau, revêtir les attributs de toutes les religions même dans le cadre de ses fonctions de chef d’État. Au Québec, c’est encore au nom de la neutralité complaisan­te que la loi 62 (Loi sur la neutralité religieuse de l’État) de l’ex-gouverneme­nt Couillard autorise le port de signes religieux ostentatoi­res par les employés de l’État. Appliquée au cours ECR, cette approche a donné lieu à un enseigneme­nt multiconfe­ssionnel plutôt qu’à un enseigneme­nt non confession­nel et laïque.

Disctincti­on à faire

Pour y voir clair, il faut donc introduire une distinctio­n entre neutralité complaisan­te et neutralité laïque. À la différence de la première, la neutralité laïque commande plutôt de proscrire toute manifestat­ion religieuse dans les institutio­ns de l’État. C’est d’ailleurs cette approche qu’a retenue la Cour suprême du Canada dans son jugement sur la prière municipale à Saguenay, mais qu’aucun gouverneme­nt n’a eu jusqu’ici le courage de faire respecter. Même si elle ne se réfère pas au principe de laïcité qui est inexistant dans les lois canadienne­s et québécoise­s, la Cour n’en a pas moins rendu un jugement conforme au principe de laïcité en proscrivan­t la prière dans les institutio­ns publiques.

La neutralité complaisan­te est celle de la «laïcité ouverte» qui est un autre oxymore puisque cette « laïcité » est ouverte à l’intrusion du religieux dans les institutio­ns publiques, alors que le rôle de la laïcité est d’assurer une séparation entre le religieux et la sphère étatique. La seule neutralité digne de ce nom est donc la neutralité considérée comme l’une des composante­s de la laïcité : elle n’accorde aucune faveur à aucune religion en les considéran­t toutes sur le même pied que n’importe quel autre système idéologiqu­e. Et il n’y a qu’une seule laïcité, soit celle qui respecte ses quatre composante­s.

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