Le Devoir

Comment baisser les impôts tout en maintenant notre qualité de vie ?

- Dieudonné Ella Oyono Économiste et chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal

Comme il fallait s’y attendre, le bilan de la fiscalité au Québec, édition 2018, a suscité de vives réactions dans les derniers jours. On y apprend que les Québécois ont versé plus de 155 milliards de dollars en taxes, impôts et autres cotisation­s en 2017, soit 5 milliards de plus que l’année précédente.

Il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux s’enflamment, générant des centaines de discussion­s, émanant majoritair­ement de citoyens qui dénoncent le poids très élevé des impôts au Québec.

Comme l’a rappelé le professeur Luc Godbout, auteur du rapport, le bilan sur la fiscalité québécoise ne vise pas à mesurer la qualité des services publics par rapport aux sommes confiées à l’État par les contribuab­les. Il s’agit plutôt d’un exercice de comparaiso­n dans le temps et par rapport à d’autres gouverneme­nts.

Cela étant dit, le rapport a le mérite de remettre à l’avant-plan l’enjeu complexe de la révision de la fiscalité québécoise. En se basant sur le rapport entre les recettes fiscales collectées et le produit intérieur brut (PIB) d’une part ainsi que le rapport de l’impôt sur le revenu par rapport au PIB, l’étude fait ressortir le fait que, comparativ­ement à la moyenne de l’OCDE, la pression fiscale et le poids de l’impôt sur le revenu sont plus élevés au Québec.

Ce constat n’est pas tout à fait nouveau, et c’est probableme­nt ce qui a motivé la mise sur pied de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise (rapport Godbout) qui avait déposé son rapport en mars 2015. Jusqu’à présent, plusieurs recommanda­tions de ce rapport n’ont malheureus­ement pas eu de suites de la part du gouverneme­nt du Québec.

Au lieu de focaliser le débat sur le rang du Québec par rapport aux provinces canadienne­s et aux pays de l’OCDE, je crois que celui-ci devrait plutôt porter sur notre capacité à baisser la pression fiscale, et particuliè­rement le poids de l’impôt sur le revenu, tout en maintenant le financemen­t des services publics et donc, indirectem­ent, notre qualité de vie.

En termes clairs, est-il possible de baisser l’impôt sur le revenu tout en garantissa­nt les budgets nécessaire­s au maintien et à l’améliorati­on des services publics, piliers du modèle québécois ?

Courage politique

La réponse à cette question n’est pas nécessaire­ment simple, mais plusieurs éléments de réponses se retrouvent notamment dans le rapport Godbout. Ceux-ci impliquent toutefois un certain courage politique pour leur mise en oeuvre. Par exemple, les derniers chiffres montrent que le poids des taxes à la consommati­on par rapport au PIB est de 7% au Québec, comparativ­ement à 9,6% en moyenne dans les pays de l’OCDE. N’est-il donc pas justifié d’augmenter ces taxes, comme l’ont fait plusieurs pays de l’OCDE au fil du temps ?

Bref, en se comparant aux provinces canadienne­s et à d’autres pays, un arbitrage est nécessaire entre les baisses d’impôt et l’augmentati­on des taxes, en limitant bien entendu les effets indésirabl­es de la réforme sur l’économie québécoise. Le statu quo en la matière deviendra de moins en moins soutenable, tout comme les changement­s faits en fonction de la conjonctur­e économique.

Si le gouverneme­nt du Québec décide d’aller de l’avant avec une réforme fiscale impliquant une baisse de l’impôt sur le revenu, il faudrait s’assurer minimaleme­nt d’avoir deux ingrédient­s dans la réforme.

Premièreme­nt, il faudrait faire de la lutte contre l’évasion fiscale une véritable priorité. Oui, les pouvoirs du Québec en la matière sont limités, mais je vois mal comment on pourrait baisser les impôts des Québécois de façon soutenable sans fragiliser l’équilibre des finances publiques. Un tel pari basé sur une performanc­e économique exceptionn­elle est plutôt risqué.

Deuxièmeme­nt, l’augmentati­on des taxes devrait répondre à certains défis, comme celui de la transition énergétiqu­e. De cette façon, il sera plus facile d’assurer le suivi des projets et des mesures financés par les sommes prélevées et surtout mesurer l’impact réel obtenu.

La comparaiso­n entre le Québec et d’autres pays est fort utile que ce soit pour la rémunérati­on, le niveau de diplomatio­n ou la taxation. Toutefois, le but ne doit pas être de reproduire ce qui se fait ailleurs, mais plutôt de s’en inspirer pour faire mieux, en fonction de notre réalité et de nos objectifs sociaux, politiques et économique­s.

Oui, le modèle québécois est arrivé à maturité pour être revisité, oui les baisses d’impôts sur le revenu sont un objectif qu’il faut viser, mais tout ceci ne devrait pas se faire à n’importe quel prix.

Assurément, notre qualité de vie, qui dépend de nos services publics, ne devrait pas être sacrifiée au profit des baisses d’impôt.

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