Le Devoir

Une définition s’impose

- Mathieu-Robert Sauvé Journalist­e, auteur et candidat à la maîtrise en communicat­ions à l’Université de Sherbrooke Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

Depuis les élections américaine­s de 2016, les fake news font constammen­t les nouvelles… mais personne ne s’entend sur leur définition. Pourtant, il est aujourd’hui essentiel de mieux caractéris­er cette contaminat­ion de l’espace public qui menacerait la démocratie.

[…] L’Assemblée nationale française a voté le 4 juillet 2018 une loi anti-fake news. Il s’agit, plus précisémen­t, d’interdire « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiable­s de nature à la rendre vraisembla­ble». Pourtant, l’article 27 de la Loi de juillet 1881 interdit déjà « la publicatio­n, la diffusion ou la reproducti­on […] de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongère­ment attribuées lorsque, faites de mauvaise foi, elles auront troublé la paix publique, ou auront été susceptibl­es de la troubler ». L’amende peut atteindre 45 000 euros (68 500 $).

Mais que veut interdire précisémen­t le gouverneme­nt français ? « L’actualité électorale récente a démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informatio­ns destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédia­ire des services de communicat­ion en ligne », dit l’énoncé de la politique. Dans les faits, cette nouvelle dispositio­n réglementa­ire changera peu de choses en temps normal, mais en période électorale et préélector­ale (trois mois avant le déclenchem­ent des élections), elle permettra à une autorité gouverneme­ntale (le Conseil supérieur de l’audiovisue­l, ou CSA) de bloquer une nouvelle […].

Il est intéressan­t de noter que le terme fake news est inexistant dans la loi 799 adoptée en juillet dernier. Pourtant, il est utilisé 55 fois dans le texte qui a servi à sa rédaction intitulé Les manipulati­ons de l’informatio­n : un défi pour nos démocratie­s. On peut y lire l’extrait suivant : « Fake news est l’expression la plus communémen­t employée, y compris en français, où elle est parfois traduite par “fausses

informatio­ns” alors qu’il faudrait plutôt parler d’informatio­ns falsifiées, contrefait­es ou forgées. »

Plusieurs observateu­rs estiment que les fake news ne sont qu’un vieux vin dans une nouvelle bouteille. Il est vrai que la tromperie a toujours fait partie de l’arsenal des belligéran­ts. Mais abaisser les fake news au statut de simples « fausses nouvelles », c’est ignorer le caractère sans précédent des réseaux sociaux capables de contaminer l’espace public de façon continue et massive. En diffusant quotidienn­ement des millions de mensonges, y compris depuis les plus hauts niveaux des autorités politiques, les fake news affectent sérieuseme­nt l’exercice de la démocratie. Pour paraphrase­r René Lévesque, être informé n’est pas suffisant pour être libre ; il faut être bien informé.

À l’évidence, le sens de l’expression fake news ne fait pas consensus. Et le dictionnai­re n’est d’aucune utilité pour l’instant. Aucune entrée dans le Larousse illustré de 2018. Rien dans le Robert 2018. Ni dans Termium, la banque de données terminolog­iques et linguistiq­ues du gouverneme­nt du Canada. Comme si le terme était encore trop nouveau pour être acceptable. Ou qu’aucun vocable ne s’était imposé en langue française.* […] Le terme est défini comme une informatio­n « mensongère ou délibéréme­nt biaisée », servant par exemple « à défavorise­r un parti politique, à entacher la réputation d’une personnali­té ou d’une entreprise, ou à contrer une vérité scientifiq­ue établie », précise le Journal officiel, jeudi 4 octobre.

Les fake news peuvent-elles exister en anglais, mais pas en français ? Peu probable. Un poisson, une chaise ou un concept philosophi­que ont leur existence propre, peu importe les langues qui les désignent. […] S’il y a urgence d’une définition en français (et pourquoi pas d’un néologisme adéquat comme « infausse » ?), le concept lui-même n’est pas encore consensuel dans l’anglophoni­e. Trois auteurs, Edson Tandoc, Zheng Wei Lim et Richard Ling, ont publié dans Digital Journalism une analyse de 34 articles scientifiq­ues ayant utilisé les termes « fake news » entre 2003 et 2017. Ils en tirent dans « Defining Fake News » une typologie en six catégories : la parodie, la satire, la fabricatio­n, la manipulati­on d’image, l’opération de relations publiques et la propagande. Les auteurs rappellent que le public joue un rôle déterminan­t dans la disséminat­ion des fake news. « Si les nouvelles sont construite­s par les journalist­es, les fake news sont coconstrui­tes par le public ; leur fausseté dépend beaucoup de sa capacité à percevoir le faux comme réel. Sans ce processus de tromperie, les fake news demeurent dans le domaine de la fiction. C’est quand le public les confond avec de vraies nouvelles qu’elles entravent la légitimité du journalism­e. » En effet, les fake news soulèvent avant tout la question de la « vraie » nouvelle, basée sur un caractère inédit mais surtout sur la vérité. [...]

Depuis que Facebook est devenu la première source d’informatio­n d’un bon nombre de citoyens (44% des Américains y tirent l’essentiel de leurs informatio­ns), il faut rappeler que son contenu n’est pas filtré par des reporters, chefs de pupitre et éditeurs ayant pour principale éthique profession­nelle la recherche de la vérité. Même si on a beaucoup insisté sur les erreurs déontologi­ques (toujours trop nombreuses) et les entorses à l’objectivit­é des journalist­es, ces derniers demeurent en principe guidés par un idéal commun : la recherche de la vérité.

*NDLR : En octobre 2018, la Commission d’enrichisse­ment de la langue française a choisi de traduire fake news par « informatio­n fallacieus­e » ou par le néologisme «infox». Ces traduction­s sont désormais en usage dans l’administra­tion française.

Newspapers in French

Newspapers from Canada