Un nouveau magazine entre santé et poésie
Palindrome veut faire le pont entre l’information scientifique et la création littéraire
Un magazine papier qui naît au Québec en 2019 ? Pour vulgariser les dernières recherches scientifiques en santé, et les faire résonner d’un autre côté en créations littéraires et poétiques ? C’est le pari hors norme que tente Palindrome.
Palindrome, magazine gratuit, est né « d’une préoccupation que j’ai depuis longtemps comme chercheuse à temps plein », explique sa rédactrice, Pascale Lehoux, aussi détentrice de la Chaire de l’Université de Montréal sur l’innovation responsable en santé. « Je travaille depuis 20 ans sur les nouvelles technologies médicales, et j’ai toujours ce souci de trouver comment partager avec le grand public les trouvailles, les observations qu’on fait, alors qu’on est financés entièrement par les fonds publics. J’ai expérimenté cette idée de différentes manières. Palindrome en est une de plus. »
Le deuxième numéro de Palindrome reste un « prototype », explique la professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Ma logique, c’est de faire du prototypage rapide : on a une bonne idée, on la fait ; on réajuste après si nécessaire. Donc, en ce moment, je n’ai pas de financement, non, pas du tout. Le troisième numéro est en préparation. On avance, mais sans filet de sécurité financier. »
Cette édition du magazine, qui paraîtra deux fois par an, aborde l’aide médicale à mourir, la quantification de soi — « cette pratique [qui consiste] à évaluer son propre corps en mesurant et en collectant des données relatives à la santé, à l’aide, par exemple, de capteurs d’activité physique ou de montres intelligentes » —, la fécondation in vitro et la pertinence de prendre ou pas des antidépresseurs en période de deuil.
Les informations scientifiques sont signées par des spécialistes (la docteure Geneviève Richer, la sexologue Stéphanie Jetté, etc.), très concises, très vulgarisées, présentées élégamment en lignes du temps, dans des encadrés ou de courts paragraphes aux mots surlignés. Y répondent des fictions inédites des poètes Kim Doré, Roseline Lambert, Stéphanie Roussel, Charles Dionne, Jean-Philippe Bergeron, et une bande dessinée de Martin PM, entre autres.
« Il y a toujours un fossé entre la recherche et le grand public, poursuit Mme Lehoux, ne serait-ce que parce qu’en recherche, on utilise un langage spécialisé. Me fascine l’idée que la fiction, la création littéraire dans son sens large — poésie, contes graphiques, etc. —, permettrait de toucher un plus large public que celui que rejoignent les documentaires et la recherche scientifique. »
La poète Kim Doré souligne : « C’est quelque chose que je fais depuis longtemps, m’imposer des savoirs a priori non poétiques avant d’écrire, particulièrement avec la science. La vraie contrainte était celle du sujet, l’euthanasie, qu’il fallait m’approprier sans le dénaturer. C’est toute la beauté du projet Palindrome : ce n’est pas une revue de littéraires qui s’adresse à des savants ni l’inverse, c’est un espace pour tous et pour toutes. »
Profil hybride
Mais quel est le lecteur ciblé par cette drôle de bête, mi-santé mi-littérature québécoise contemporaine? N’est-il pas ultra-niché ? « Il a un brin de curiosité, et il se retrouve dans un espace qui le rend sensible à autre chose. Palindrome est un objet de salle d’attente, au sens large du terme : en attendant votre rendez-vous, vous feuilletez, et vous pouvez tomber dedans, vous absorber, naviguer entre les infos et la création. C’est pour les intellectuels qui s’ignorent, ces gens brillants mais pas nécessairement très éduqués, qui se posent des questions sur le monde dans lequel on vit. »
Le volet littéraire est coordonné par les cofondateurs des Éditions de La Tournure, coopérative de solidarité, Olyvier Leroux-Picard et Julien Fontaine Binette. Le comité de lecture est composé de membres au profil scientifique (comme Anne Marchand, vicerectrice à la recherche à l’Université de Montréal) ou littéraire (Suzanne Aubry, romancière et présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ )), ou les deux (Frédérique Dubé, formée en communications scientifiques et poète). « On capitalise sur ces formations hybrides », admet Mme Lehoux.
Pour assurer sa survie, Palindrome cherche des subventions, des mécènes ou « des modèles de pérennité économique avec des abonnements solidaires, par exemple, où on paie un peu plus pour que d’autres ne paient pas. Ce n’est pas insoluble, ce ne sont pas des sommes énormes qui sont en jeu », croit la rédactrice. Pour l’instant, les collaborateurs littéraires sont payés aux tarifs prônés par l’UNEQ ; les chercheurs ne sont pas payés, « ils ont déjà leur salaire. La question qu’on se pose : est-ce que ces gens ont un salaire ? Sinon, on offre les tarifs en vigueur dans le domaine. »
Le prochain numéro abordera, parmi d’autres sujets, les « smart drugs », ces drogues censées stimuler l’intelligence, la bioimpression, la musicothérapie et la violence sexuelle, en informations scientifiques comme en fiction.
On peut feuilleter les deux premiers numéros en ligne, sur magpalindrome.ca.