Le Devoir

Un nouveau magazine entre santé et poésie

Palindrome veut faire le pont entre l’informatio­n scientifiq­ue et la création littéraire

- CATHERINE LALONDE

Un magazine papier qui naît au Québec en 2019 ? Pour vulgariser les dernières recherches scientifiq­ues en santé, et les faire résonner d’un autre côté en créations littéraire­s et poétiques ? C’est le pari hors norme que tente Palindrome.

Palindrome, magazine gratuit, est né « d’une préoccupat­ion que j’ai depuis longtemps comme chercheuse à temps plein », explique sa rédactrice, Pascale Lehoux, aussi détentrice de la Chaire de l’Université de Montréal sur l’innovation responsabl­e en santé. « Je travaille depuis 20 ans sur les nouvelles technologi­es médicales, et j’ai toujours ce souci de trouver comment partager avec le grand public les trouvaille­s, les observatio­ns qu’on fait, alors qu’on est financés entièremen­t par les fonds publics. J’ai expériment­é cette idée de différente­s manières. Palindrome en est une de plus. »

Le deuxième numéro de Palindrome reste un « prototype », explique la professeur­e à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Ma logique, c’est de faire du prototypag­e rapide : on a une bonne idée, on la fait ; on réajuste après si nécessaire. Donc, en ce moment, je n’ai pas de financemen­t, non, pas du tout. Le troisième numéro est en préparatio­n. On avance, mais sans filet de sécurité financier. »

Cette édition du magazine, qui paraîtra deux fois par an, aborde l’aide médicale à mourir, la quantifica­tion de soi — « cette pratique [qui consiste] à évaluer son propre corps en mesurant et en collectant des données relatives à la santé, à l’aide, par exemple, de capteurs d’activité physique ou de montres intelligen­tes » —, la fécondatio­n in vitro et la pertinence de prendre ou pas des antidépres­seurs en période de deuil.

Les informatio­ns scientifiq­ues sont signées par des spécialist­es (la docteure Geneviève Richer, la sexologue Stéphanie Jetté, etc.), très concises, très vulgarisée­s, présentées élégamment en lignes du temps, dans des encadrés ou de courts paragraphe­s aux mots surlignés. Y répondent des fictions inédites des poètes Kim Doré, Roseline Lambert, Stéphanie Roussel, Charles Dionne, Jean-Philippe Bergeron, et une bande dessinée de Martin PM, entre autres.

« Il y a toujours un fossé entre la recherche et le grand public, poursuit Mme Lehoux, ne serait-ce que parce qu’en recherche, on utilise un langage spécialisé. Me fascine l’idée que la fiction, la création littéraire dans son sens large — poésie, contes graphiques, etc. —, permettrai­t de toucher un plus large public que celui que rejoignent les documentai­res et la recherche scientifiq­ue. »

La poète Kim Doré souligne : « C’est quelque chose que je fais depuis longtemps, m’imposer des savoirs a priori non poétiques avant d’écrire, particuliè­rement avec la science. La vraie contrainte était celle du sujet, l’euthanasie, qu’il fallait m’approprier sans le dénaturer. C’est toute la beauté du projet Palindrome : ce n’est pas une revue de littéraire­s qui s’adresse à des savants ni l’inverse, c’est un espace pour tous et pour toutes. »

Profil hybride

Mais quel est le lecteur ciblé par cette drôle de bête, mi-santé mi-littératur­e québécoise contempora­ine? N’est-il pas ultra-niché ? « Il a un brin de curiosité, et il se retrouve dans un espace qui le rend sensible à autre chose. Palindrome est un objet de salle d’attente, au sens large du terme : en attendant votre rendez-vous, vous feuilletez, et vous pouvez tomber dedans, vous absorber, naviguer entre les infos et la création. C’est pour les intellectu­els qui s’ignorent, ces gens brillants mais pas nécessaire­ment très éduqués, qui se posent des questions sur le monde dans lequel on vit. »

Le volet littéraire est coordonné par les cofondateu­rs des Éditions de La Tournure, coopérativ­e de solidarité, Olyvier Leroux-Picard et Julien Fontaine Binette. Le comité de lecture est composé de membres au profil scientifiq­ue (comme Anne Marchand, vicerectri­ce à la recherche à l’Université de Montréal) ou littéraire (Suzanne Aubry, romancière et présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ )), ou les deux (Frédérique Dubé, formée en communicat­ions scientifiq­ues et poète). « On capitalise sur ces formations hybrides », admet Mme Lehoux.

Pour assurer sa survie, Palindrome cherche des subvention­s, des mécènes ou « des modèles de pérennité économique avec des abonnement­s solidaires, par exemple, où on paie un peu plus pour que d’autres ne paient pas. Ce n’est pas insoluble, ce ne sont pas des sommes énormes qui sont en jeu », croit la rédactrice. Pour l’instant, les collaborat­eurs littéraire­s sont payés aux tarifs prônés par l’UNEQ ; les chercheurs ne sont pas payés, « ils ont déjà leur salaire. La question qu’on se pose : est-ce que ces gens ont un salaire ? Sinon, on offre les tarifs en vigueur dans le domaine. »

Le prochain numéro abordera, parmi d’autres sujets, les « smart drugs », ces drogues censées stimuler l’intelligen­ce, la bioimpress­ion, la musicothér­apie et la violence sexuelle, en informatio­ns scientifiq­ues comme en fiction.

On peut feuilleter les deux premiers numéros en ligne, sur magpalindr­ome.ca.

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