Une 69e Berlinale aux accents de manifeste. Odile Tremblay en rend compte depuis Berlin.
Le festival affirme bien haut des choix politico-artistiques que des concurrents comme Cannes et Venise soulignent plus discrètement
On vient s’incliner un moment devant la porte de Brandebourg avant la grande ouverture de la 69e Berlinale, qui démarre jeudi, afin de reprendre le pouls de la ville. Autre rituel d’appropriation urbaine — à chacun les siens —, saluer du cap les corneilles mantelées, migrises, mi-noires qui criaillent en comité de bienvenue dans l’hiver berlinois.
Quant aux humains du festival, ils n’ont pas la même fébrilité qu’à Cannes ou à Toronto et montrent leur côté zen. La Berlinale affiche toujours une allure bon enfant, cinéphile chic, mais sans flafla excessif, avec cette fois comme présidente du jury l’actrice française Juliette Binoche, tout de même…
Chose certaine, le rendez-vous, qui roule jusqu’au 17 février, affirme bien haut des choix politico-artistiques que des concurrents comme Cannes et Venise soulignent plus discrètement. Ainsi, à l’ère de #MoiAussi, cette mise en lumière des réalisatrices, à la barre de 41 % des oeuvres programmées. Sept des dix-sept films en compétition portent des signatures féminines : du jamais vu dans un grand festival. Un cru plus féminin qu’aux « Oscar so male »… Pour partir le bal jeudi : The Kindness of
Strangers, de la Danoise Lone Scherfig, cinéaste d’Une éducation, en compétition avec ce drame familial à New York, donnant la vedette à Zoe Kazan, Bill Nighy et Tahar Rahim. Dans la course : la légendaire Polonaise Agnieszka Holland avec son Mr. Jones sur l’engagement d’un photographe face à l’Ukraine affamée par Staline.
Et que serait un hommage aux femmes sans la grande Agnès Varda, nonagénaire bon pied, bon oeil ? Son documentaire intime Varda par Agnès sera présenté hors concours en sa radieuse présence. Amazing Grace, documentaire sur l’enregistrement du mythique album de gospel d’Aretha Franklin, sous scellés depuis 1972, resurgira ici. Un hommage de carrière rendu à l’actrice britannique Charlotte Rampling, une rétrospective consacrée aux femmes cinéastes entre 1968 et 1999 : des fées se penchent sur cette 69e édition.
Chant du cygne du directeur Dieter Kosslick, celui-ci tire sa révérence après 18 ans de règne : le monde festivalier se réajuste et à chaque rendez-vous, ses positions. Le géant Netflix pour la première fois se faufile à Berlin en compétition avec Elisa y Marcela de l’Espagnole Isabel Coixet, adapté d’une passion lesbienne vécue sous les vents contraires du début du XXe siècle.
Le Québec dans la course
Les Québécois suivront avec attention dans cette course à l’Ours d’or le parcours du drame fantastique Répertoire des villes disparues de Denis Côté, enfant chéri de la maison, pour la troisième fois en compétition après Vic +
Flo ont vu un ours (primé ici) et Boris sans Béatrice.
Les couleurs du Québec brilleront aussi à travers Une colonie de Geneviève Dulude-De Celles, projeté dans la section Generation, et quatre courts métrages dispersés à travers différents vo- lets: Juste moi et toi de Sandrine Brodeur-Desrosiers, Oh corbeau ! Oh corbeau ! de Pierre Garcia-Rennes, Les petites vagues d’Ariane Louis-Seize et The Spirit Keepers of Makura’ay de Yen-Chao Lin. N’empêche, cette sélection, avec Binoche en figure de proue, fait surtout la part belle à la France. En compétition : le très attendu Grâce à Dieu de François Ozon revient sur les agressions pédophiles du prêtre Bernard Preynat dans le Lyon des années 1980 (avec Melvil Poupaud et Denis Ménochet). Or, sa sortie prochaine sur écrans français se voit actuellement menacée par deux procédures judiciaires qui cherchent à la reporter, y voyant une interférence avec des procès en cours. Chaud, le film…
Français aussi, mais hors compétition et collé à une autre crise brûlante, L’adieu à la nuit d’André Téchiné, dans lequel Catherine Deneuve incarne la grand-mère d’un garçon converti au djihadisme. En projection spéciale : Celle que vous croyez de Safy Nebbou convie pour sa part Juliette Binoche, François Civil et Nicole Garcia à l’exploration d’une passion amoureuse virtuelle.
Gros morceau en vue : One second du cinéaste chinois iconique Zhang Yimou, nouvelle exploration de son pays à l’heure de la révolution culturelle. Très attendu dans la course aussi, l’Allemand d’origine turque Fatih Akin (The Edge of Heaven, In the Fade) avec The Golden Glove, tiré de la vie d’un tueur en série à Hambourg au cours des années 1970.
Synonymes de l’Israélien Nadav Lapid (cinéaste de L’institutrice), abordant la quête existentielle d’un héros encombré par ses racines juives, mais formé par elles, promet beaucoup. Tout comme La paranza dei bambini de l’Italien Claudio Giovannesi, plongée dans l’univers catastrophique des enfants de la Camorra napolitaine, incarnée par des non-professionnels du lieu et coscénarisée par Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra.
De fait, cette 69e édition de la Berlinale ne sera pas que féminine, mais engagée sur plusieurs fronts, dont celui de l’environnement, des luttes contre la corruption et les abus de pouvoir sous toutes leurs formes. La dernière édition de Dieter Kosslick prend aussi des allures de manifeste.