Le Devoir

Ottawa ignorera les GES émis en amont

- ALEXANDRE SHIELDS

Au moment d’autoriser le projet Énergie Saguenay, le gouverneme­nt fédéral ne tiendra pas compte des impacts environnem­entaux de la production du gaz naturel albertain qui sera liquéfié à la future usine de GNL Québec, a appris Le Devoir. Le gouverneme­nt du Québec s’en remet pourtant à Ottawa pour l’examen des enjeux climatique­s du mégaprojet industriel, qui sera évalué essentiell­ement en vertu de règles mises en place par les conservate­urs de Stephen Harper.

Selon les «lignes directrice­s» de l’étude d’impact transmises à GNL Québec par l’Agence canadienne d’évaluation environnem­entale (ACEE), le promoteur du projet d’usine de liquéfacti­on de gaz naturel et de terminal maritime d’exportatio­n doit « fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre produites en amont » de son projet.

Cette évaluation doit inclure les gaz à effet de serre (GES) imputables à la « production » du gaz naturel exploité par fracturati­on, en Alberta, et qui sera transporté jusqu’au Saguenay par gazoduc. Cela signifie que l’entreprise derrière ce projet de 7,5 milliards de dollars doit fournir à l’ACEE une estimation des GES liés à l’exploitati­on du gaz qui sera liquéfié à son usine, à raison de 11 millions de tonnes par année.

Énergie Saguenay a d’ailleurs déjà confirmé qu’une telle « analyse » sera produite de façon «indépendan­te», en tenant compte des « données scientifiq­ues », et qu’elle sera fournie aux instances gouverneme­ntales qui évalueront le projet.

Cependant, les lignes directrice­s de l’évaluation fédérale — rédigées selon les dispositio­ns de la Loi canadienne sur l’évaluation environnem­entale révisée par les conservate­urs en 2012 (LCEE 2012) — précisent très clairement que les

émissions de GES produites en amont « ne sont pas considérée­s comme faisant partie du projet aux fins de l’évaluation environnem­entale».

«Par conséquent, la ministre [de l’Environnem­ent] ne prendra pas de décision en vertu de la LCEE 2012 pour établir si […] ces émissions de gaz à effet de serre produites en amont sont susceptibl­es d’entraîner des effets environnem­entaux négatifs importants et ces activités ne seront pas assujettie­s aux conditions imposées au promoteur par une déclaratio­n de décision autorisant l’exécution du projet. »

Confirmati­on d’Ottawa

En réponse aux questions du Devoir, l’ACEE a d’ailleurs confirmé que « lors de l’évaluation du projet, l’Agence tiendra compte des émissions directes de GES provenant de sources dont GNL Québec Inc. est propriétai­re ou dont il a le contrôle ».

L’examen environnem­ental fédéral permettra également de «recueillir des renseignem­ents sur les émissions de GES produites en amont par des activités associées au projet », a précisé l’ACEE, en réponse à des questions qui étaient adressées directemen­t au cabinet de la ministre de l’Environnem­ent et du Changement climatique, Catherine McKenna. « Cependant, les émissions de GES produites en amont par des tierces parties ne font pas partie du projet aux fins de la décision de la ministre sur le projet. »

En conséquenc­e, ni l’évaluation fédérale ni celle qui devrait être menée au Québec sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent ne tiendront compte des impacts de l’exploitati­on gazière albertaine qui servira à produire du gaz naturel liquéfié au Saguenay.

Le cabinet du ministre de l’Environnem­ent Benoit Charette a confirmé que « cette question concerne le gouverneme­nt fédéral », puisque dans le cas du Québec, « le bilan des émissions de GES visant la vérificati­on de l’atteinte des cibles de réduction ne considère que les émissions produites en sol québécois ».

Cette situation d’exclusion des principaux impacts climatique­s liés à Énergie Saguenay, dans la prise de décision sur le projet, ne surprend pas l’avocat Jean Baril. Il a ainsi souligné que la Loi canadienne sur l’évaluation environnem­entale réécrite en 2012 par les conservate­urs « limite les pouvoirs d’évaluation, ce qui était la volonté du gouverneme­nt Harper ».

« Avec la loi actuelle, il serait très difficile de démontrer que l’évaluation environnem­entale d’un projet comme celui-là devrait tenir compte des émissions de gaz à effet de serre en amont. Pourtant, le bon sens climatique indique que l’enjeu des GES devrait être pris en compte, d’autant plus que nous avons pris des engagement­s en vertu de l’Accord de Paris sur le climat », a fait valoir Me Baril, spécialist­e de la législatio­n environnem­entale.

Le projet de loi C-69, présenté par les libéraux de Justin Trudeau, permettrai­t pourtant de revoir la LCEE, afin de bonifier les évaluation­s environnem­entales. Il a d’ailleurs été adopté par la Chambre des communes, mais il est présenteme­nt au Sénat, où il fait face à une vive opposition des sénateurs conservate­urs. Le comité sénatorial qui étudiera le projet de loi a aussi voté en faveur de séances itinérante­s, qui se déplaceron­t au Canada. L’adoption finale pourrait donc prendre encore plusieurs mois.

C’est aussi en raison de la LCEE 2012 que le projet de gazoduc de 650 kilomètres qui alimentera l’usine d’Énergie Saguenay sera évalué par l’Office national de l’énergie, avant une décision qui appartiend­ra uniquement au gouverneme­nt fédéral.

Interpellé­e récemment lors d’un point de presse à Montréal, Catherine McKenna n’a pas souhaité commenter le projet Énergie Saguenay, disant s’en remettre à l’«évaluation environnem­entale» en cours. Elle a toutefois souligné que le Canada doit «voir comment nos ressources peuvent aller aux marchés». Elle a ainsi fait référence au projet LNG Canada, sur la côte ouest, qui représente selon elle « une solution » pour l’exportatio­n maritime du gaz naturel canadien.

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